À nouvelle ère, nouveaux défis

Pourquoi l’émergence de la Chine et de l’Inde, et le boom des technologies de l’information vont changer la face du monde.

Publié le 21 février 2006 Lecture : 4 minutes.

Larry Summers, président de l’université Harvard et ancien secrétaire américain au Trésor, déclarait à Davos que le monde actuel connaît une transformation aussi profonde qu’au temps de la Renaissance ou de la Révolution industrielle. La comparaison n’est pas absurde. Comme le soulignait Summers, les innovations technologiques et l’entrée de milliards d’Asiatiques dans l’économie mondiale ont changé notre vie. Ces évolutions sont à la fois une conséquence et une cause du glissement général vers le marché que nous appelons la mondialisation.
Les technologies de la communication ont toujours joué un rôle essentiel dans l’Histoire. Internet, qui promet l’accès à l’information à tout un chacun, ne sera peut-être pas aussi révolutionnaire que l’écriture ou l’imprimerie. Néanmoins, une situation où le coût marginal de la collecte, du stockage, de la mise à disposition et de la transmission de l’information tend vers zéro est sans précédent. Plus de un milliard de personnes ont déjà accès à Internet. Plus étonnant peut-être, nous sommes environ 1,5 milliard à utiliser des téléphones portables. Le potentiel du développement de l’accès direct à Internet semble énorme.
L’impact économique de la Chine et, désormais, de l’Inde, qui totalisent à elles deux près de 2,4 milliards d’habitants, est déjà évident. La population de la Chine est plus importante que celle de l’Amérique latine et de l’Afrique subsaharienne réunies. Qui plus est, ces géants ne sont pas seuls. Si on leur ajoute la population des pays en développement de l’Asie de l’Est et du Sud, on obtient plus de la moitié de l’humanité. L’effet global du glissement vers le marché et de la diminution des coûts de transport et de communication dans le monde représente au moins un quadruplement du nombre de travailleurs disponibles pour l’économie mondiale. Le potentiel encore inutilisé est plus important que tout ce que l’on a connu jusqu’à présent : le PIB par habitant de la Chine en parité de pouvoir d’achat est inférieur au sixième de celui des États-Unis. Celui de l’Inde est la moitié de celui de la Chine.
Notons quelques-unes des conséquences de l’arrivée de ces nouveaux producteurs mondiaux : une explosion de la demande d’énergie et des autres matières premières ; la pression à la baisse sur les salaires, en particulier ceux des ouvriers les moins qualifiés, dans les pays avancés ; et le renforcement de la concurrence pour les fabricants de produits nécessitant beaucoup de main-d’uvre, en particulier en Afrique subsaharienne et en Amérique latine. Résultat : les pays riches et un grand nombre de populations jusqu’alors défavorisées profitent de la situation, mais les catégories intermédiaires beaucoup moins. Si l’on ajoute l’impact des nouvelles technologies, on relève d’autres changements : des marchés financiers travaillant vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; l’intégration de la production et de la distribution sur l’ensemble de la planète ; et la marchandisation accrue de tous les services qui peuvent se découper en éléments d’information. L’Inde, où le secteur des services est relativement plus développé, selon les normes internationales, que le secteur industriel, bénéficie de cette tendance.
Toutes ces opportunités inédites de production et d’échange mondialement intégrés ne se limitent pas aux activités légales. Les nouvelles ouvertures facilitent également les flux internationaux de migrants clandestins, les trafics d’êtres humains et de drogue, le terrorisme transfrontalier, la piraterie, la corruption et bien d’autres maux. Par ailleurs, il faut considérer les effets géopolitiques. La Chine est déjà l’une des premières puissances mondiales. Dans quelques années, l’Inde l’aura rejointe. En termes de rapports de force mondiaux, ce changement est au moins aussi important que la montée en puissance des États-Unis, de l’Allemagne, du Japon et de la Russie à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. On pourrait le considérer comme un changement d’époque – ou un retour à la normalité – après ce que beaucoup d’Asiatiques considèrent comme une période de domination sans justification des Européens et de leur progéniture coloniale. Les évolutions démographiques appuieront ce changement. L’ONU prévoit que la part de la population mondiale qui vit dans les actuels pays à hauts revenus tombera de 20 % en 2000 à 14 % en 2050.
Aussi évidents que l’impact de tous ces changements sont les défis qu’ils lancent. Voici les plus importants.
Premièrement, les responsables économiques doivent s’adapter à une situation mondiale beaucoup plus concurrentielle et dynamique. Les dirigeants politiques doivent leur donner un environnement qui le leur permette – ce que beaucoup de gouvernements européens n’ont pas fait jusqu’à présent.
Deuxièmement, les dirigeants des pays à hauts revenus doivent assumer les changements apportés par la mondialisation sans se laisser tenter par le protectionnisme.
Troisièmement, les gouvernements doivent aussi trouver le moyen de gérer les conséquences des flux de capitaux circulant plus librement et assurer l’équilibre mondial des paiements aussi harmonieusement que possible.
Quatrièmement, ceux qui sont responsables des pays en développement, y compris les donateurs, doivent trouver le moyen d’aider ceux qui ont été le moins capables jusqu’ici d’exploiter les opportunités et de faire face aux dangers de ce monde nouveau.
Cinquièmement, les dirigeants politiques doivent concevoir une politique énergétique à long terme facilitant la consommation accrue d’énergie. Cela a été une constante au cours des deux derniers siècles. La montée en puissance de l’Asie garantit qu’il en sera encore ainsi.
Sixièmement, les décideurs doivent prendre conscience de l’importance du changement climatique et trouver le moyen d’y faire face, probablement par un mélange d’économies d’énergie et d’adaptation.
Last but not least, les gouvernements du monde entier devront coopérer pour garantir le bien public mondial le plus fondamental : la paix et la stabilité.
C’est un monde nouveau et, à bien des égards, plein de promesses. À nous de faire la preuve que nous sommes dignes de l’habiter.

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