Les immigrés au Palais

En 2007, l’ancien musée des Arts d’Afrique et d’Océanie de Paris abritera la « Cité nationale » consacrée aux mouvements de population vers la France.

Publié le 22 février 2006 Lecture : 3 minutes.

Rendre à César ce qui est à César, c’est la vocation de la « Cité nationale de l’histoire de l’immigration » qui verra le jour à Paris l’an prochain. L’idée d’un lieu consacré aux mouvements de population vers la France est ancienne. Depuis plus de trente ans, elle attendait dans les laboratoires des historiens spécialistes des flux migratoires. Et sommeillait dans les dossiers des politiques, bien conscients qu’il faudrait, un jour ou l’autre, montrer aux citoyens « de souche » et à leurs égaux « issus de l’immigration » que le génie français se nourrit depuis toujours de nombreux apports, et pas seulement d’un béret basque et d’une baguette de pain.
Qu’ils soient de Pologne, d’Arménie, d’Italie, de Chine, d’Algérie et de partout ailleurs, les émigrés-immigrés participent à la création de l’identité française. Évident, mais encore faut-il le leur dire pour qu’ils se sentent intégrés ! Telle est la recommandation des deux rapports (2001 et 2004) qui esquissent les plans de ce lieu inédit au niveau national. L’ambition est celle d’une uvre historique. Elle est aussi politique, personne ne s’en cache : « Comment l’institution peut-elle remplir cette fonction de point de repère identitaire, de ciment national ? » s’interroge dans son rapport, en avril 2004, l’ancien ministre de la Culture Jacques Toubon, missionné par Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, pour poser les bases du projet.
Qu’en est-il un an et demi plus tard ? Une dénomination, une date et un lieu sont arrêtés. Les portes de la « Cité nationale de l’immigration » ouvriront en avril 2007. « Cité », et pourquoi pas « musée » ? Parce que ce terme évoque un patrimoine figé, alors que l’immigration est un phénomène dynamique, répondent les « artisans » du projet. Le lieu ? Le palais de la Porte Dorée, dans le 12e arrondissement parisien. Qui, en son temps, s’est appelé « Palais des colonies ». Première polémique : on occulte un passé fâcheux, celui d’une France conquérante qui oublie les droits de l’homme, par l’éloge d’une République accueillante, s’insurgent les associations qui collaborent au projet. Leur crainte ? Que les seuls bons côtés de l’immigration soient montrés.
Garde-fou au révisionnisme, un comité est censé veiller à l’objectivité. « Aucune époque ne doit être oubliée, même les moins flatteuses », rappelle l’un de ses membres, l’historien Émile Temime. Les sans-papiers, les drames récents de Ceuta et Melilla, les charters aussi ? « Pour moi, ça ne fait aucun doute, il faut en parler. Il faut aussi rappeler que la France n’a pas toujours fait une utilisation digne de la main-d’uvre : on a renvoyé les Polonais pendant la crise des années 1930, après les avoir fait venir », assure-t-il. Ce qui n’empêchera pas la « Cité » de faire référence aux Prix Nobel Marie Curie et Georges Charpak, tous deux immigrés polonais. Le champ historique couvert part du présent immédiat et remonte jusqu’au début du XIXe siècle.
Autre interrogation de taille : comment montrer l’immigration ? « Par tout un tas de choses », répond Fanny Servole, responsable des publics à la Cité. De la carte de lecteur de Lénine à la bibliothèque Richelieu jusqu’aux ustensiles de cuisine importés par les Arméniens, en passant par des plans des flux migratoires et des coupures de presse. Sur un espace de 1 100 m2 environ, l’exposition permanente se découpera en trois parties. Les deux premières donnent au visiteur des repères chronologiques. La dernière retrace les étapes du parcours des immigrants : l’arrivée, la vie quotidienne, le partage des cultures. Les quelque 1 000 m2 restants seront consacrés aux expositions temporaires.
En dépit des travaux de rénovation, le palais de la Porte Dorée reste pour l’historien Arnauld Le Brusq une « bâtisse fatiguée, comme déplacée, jaillie d’un temps révolu et venue d’un espace aujourd’hui bel et bien mort » (La Fracture coloniale, éd. La Découverte). Outre le choix du lieu, c’est l’intention même du projet qu’il critique. « Leur histoire est notre histoire » annonçait, plein de bonne volonté, le slogan d’un colloque de réflexion sur la future « Cité », en 2003. Rien de mieux pour creuser la différence, tout illusoire, entre « eux » et « nous », explique l’auteur. Et si la « Cité » ne faisait qu’aggraver la fracture ? Il est encore trop tôt pour le dire.

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