La loi des Pharaons

Les jeux sont faits : l’Égypte a remporté sa cinquième coupe d’Afrique des nations. Dommage que le spectacle n’ait pas toujours été à la hauteur. Et que le chauvinisme du public ait quelque peu gâché la fête.

Publié le 21 février 2006 Lecture : 5 minutes.

Le Caire, 6 février. Dans une aile de l’ancien palais du khédive Ismaël, le Camerounais Issa Hayatou se confie à l’agence Middle East News. « Je suis fier, explique le président de la Confédération africaine de football (CAF), de l’excellente organisation de cette XXVe CAN. L’Égypte est un grand pays capable d’accueillir les plus importantes manifestations sportives mondiales, comme la Coupe du monde. Hélas ! sa candidature n’a pas été retenue pour le Mondial 2010, non parce que son dossier ne répondait pas aux exigences de la Fifa [la fédération internationale], mais parce qu’il fallait faire un choix entre cinq prétendants. »
De fait, le 15 mai 2004 à Zurich, lors du choix du pays organisateur dudit Mondial, aucun des quatre membres africains du comité exécutif de la Fifa – pas même Hayatou – n’a voté pour l’Égypte, qui n’a d’ailleurs pas obtenu la moindre voix. Une terrible naksa (humiliation), que les Égyptiens ont mis de longs mois à surmonter. Du coup, ils en ont presque oublié la future Coupe d’Afrique des nations, et les préparatifs ont pris du retard. Pour ne rien arranger, quatre ministres des Sports et trois présidents de la fédération égyptienne de foot se sont succédé depuis le verdict de Zurich.
Trois mois avant le début de la compétition, le gouvernement, par la voix d’Ahmed Nazif, le Premier ministre, a fini par s’inquiéter. Mais sans casser sa tirelire pour autant : une maigre enveloppe de 2 millions de livres (240 000 euros) a été allouée au comité d’organisation, le Cocan. Il est vrai que c’est l’armée qui a été chargée d’assurer la logistique et de concocter une cérémonie d’ouverture à peu près présentable. Par ailleurs, sécurité oblige, plus de cinq mille policiers ont été réquisitionnés. Lors du tournoi, les stades ont ainsi pris des allures de camps retranchés : bataillons d’hommes en noir, casqués et armés, cohortes d’agents de la Sûreté de l’État (am addawla) et des services de renseignements (moukhabarat) À deux reprises, le président Hosni Moubarak, son épouse et ses ministres ont assisté à un match de l’équipe nationale, au Caire. Et, à chaque fois, le dispositif de sécurité a été impressionnant : bouclage total des quartiers avoisinants, obligation faite aux invités, responsables sportifs et journalistes de se présenter plusieurs heures à l’avance, le passeport à la main, aux multiples grilles d’entrée, confiscation des téléphones mobiles, installation d’une immense vitre pare-balles devant les fauteuils du couple présidentiel Du jamais vu lors d’une Coupe d’Afrique ! Cela n’a pas empêché Walter Gagg, l’observateur de la Fifa, de mettre en évidence certaines défaillances de l’organisation en matière de sécurité, au Caire.
« Kol shay tamam ! » (tout est en ordre) se réjouissait Hani Abou Reda, le président du Cocan, avant le début de l’épreuve. La promesse n’a été que partiellement tenue. Confiés à un tour-opérateur cairote, l’hébergement et le transport des seize délégations, des officiels et des invités n’ont pas posé de problèmes particuliers. Les installations destinées à l’entraînement des équipes, non plus. En revanche, les conditions de travail des envoyés spéciaux étaient carrément déplorables : tribunes souvent exiguës et inconfortables, centres de presse envahis par des intrus Les « zones mixtes » réservées aux interviews d’après-match évoquaient irrésistiblement les souks de Khan al-Khalili ! On s’y bousculait, on s’y interpellait bruyamment, on y chahutait sous l’il impassible des responsables de la CAF.
Adeptes de la méthode Coué, les médias locaux, après coup, pavoisent : « L’Égypte a organisé la meilleure Coupe d’Afrique depuis 1957. Elle a montré l’éclat de sa civilisation », entend-on. La vérité est qu’« Égypte 2006 » n’a fait oublier ni « Burkina 1998 », ni « Mali 2002 », ni « Tunisie 2004 ». Si personne ne rêvait d’une organisation aussi impeccable que lors du Mondial 2002 (Japon-Corée du Sud) ou de l’Euro 2004 (Portugal), du moins était-on en droit d’espérer un accueil « à l’africaine » : chaleureux et convivial.
Hélas ! cette XXVe CAN n’a pas été la grande fête du football africain, mais uniquement celle de l’Égypte. D’autant qu’au fil des matchs la victoire de la sélection locale est vite apparue inéluctable. Dès le premier match contre le Maroc, l’ambiance a tourné à l’hystérie chauvine. Restaurée pour l’occasion, l’arène de béton du stade du Caire a été régulièrement envahie par des dizaines de milliers de supporteurs grimés, agitant des drapeaux noir-blanc-rouge, conspuant les adversaires du jour et reprenant interminablement l’hymne national « Biladi ! Biladi ! ». Pour la plupart, ils n’avaient jusque-là jamais mis les pieds dans un stade de foot.
Dans le souci de rentabiliser la compétition, les organisateurs avaient en effet choisi de vendre très cher les billets d’entrée, décourageant ainsi l’habituel public populaire, remplacé par des supporteurs au porte-monnaie beaucoup mieux garni, membres de la upper middle class ou nantis des quartiers huppés de Zamalek, Mohandeissin, Héliopolis ou Medinat Nasr. Tous en quête d’affirmation patriotique. On venait au stade non pour le spectacle, mais pour soutenir « Misr om adunya », l’Égypte mère de l’Univers.
Considérablement amplifié par les médias, le « supportérisme » à l’égyptienne a reçu le précieux renfort de la famille Moubarak. Alaa et Galal, les fils du raïs, ont suivi avec assiduité les entraînements de la sélection et assisté à tous ses matchs. Même Suzanne, son épouse, délaissant un moment ses activités socio-humanitaro-culturelles, s’est prise de passion pour le ballon rond, n’hésitant pas à téléphoner à l’animateur d’une émission sportive pour lui demander de ne point trop accabler le sélectionneur Hassan Shehata ! Deux jours après le naufrage en mer Rouge du ferry Al-Salam, le chef de l’État en personne s’est rendu, à la tombée de la nuit, au camp d’entraînement de l’équipe nationale. On l’aura compris : l’avantage du terrain a constitué pour l’équipe égyptienne un atout décisif. On n’ose imaginer la tragédie nationale qu’eût constituée sa défaite le 10 février
Partout où l’Égypte ne jouait pas, le public a boudé la compétition : à peine 80 000 spectateurs, au total, pour les vingt matchs disputés à Alexandrie, Port-Saïd, Ismaïlia et au stade militaire du Caire. Soit 4 000 spectateurs par match, une misère. En dehors de quelques centaines de supporteurs tunisiens et d’une poignée de Guinéens, Ghanéens, Nigérians et Sénégalais, l’essentiel de l’assistance était constitué par des militaires en service commandé : plusieurs milliers de solides gaillards en survêtements multicolores chargés de faire de la figuration dans les gradins vides !

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