La baraka pétrolière

Les premiers barils de brut seront livrés d’ici à fin février. Et, en 2010, la production devrait atteindre celle de pays comme le Gabon ou le Congo.

Publié le 21 février 2006 Lecture : 4 minutes.

Chinguetti, Tiof, Banda, Tevèt, aujourd’hui ; Courbine, Dorade, Labeidna, Pélikan, Héron, Abolag, demain Ces noms de poissons, d’oiseaux ou de villes sont aussi ceux de forages ou de gisements de pétrole situés au large des côtes ou sur le territoire mauritanien. Le premier devrait livrer ses premiers barils d’or noir à la fin de février, selon Brendan Augustin, représentant de l’opérateur pétrolier australien Woodside, voire avant, aux dires d’Aboubakr Ould Maroini, directeur général de la Société mauritanienne d’hydrocarbures (SMH). En tout cas, et indépendamment du différend juridique qui vient d’éclater (voir encadré), le pétrole devrait couler au rythme de croisière de 75 000 barils par jour (4 millions de tonnes par an) à partir de cette année et pendant neuf à dix ans, compte tenu des connaissances et des techniques actuelles. Car s’il y a un secteur rempli d’incertitudes, c’est bien celui du pétrole : les réserves gisent à plus de 2 000 mètres de profondeur et leur débit est constamment réévalué en fonction du rythme et des modalités d’extraction.
La Mauritanie deviendra donc cette année le dixième pays pétrolier africain, produisant trente fois moins que le premier (le Nigeria), mais presque autant que le Cameroun (80 000 b/j) et plus que la Tunisie (67 000 b/j). L’avenir est toutefois autrement plus prometteur si l’on en croit les divers échos qui parviennent de la vingtaine de compagnies qui participent à la recherche de l’or noir dans les bassins maritimes ou terrestres.
Les spéculations portent sur des réserves comprises entre 3 et 5 milliards de barils/équivalent pétrole (pétrole brut et gaz naturel) et les prévisions donnent une production de l’ordre de 250 000 à 300 000 b/j dès 2010, l’équivalent de la production actuelle du Gabon ou du Congo-Brazzaville. Car, après Chinguetti, il y aura Tiof, un gisement dix fois plus grand que le premier : plus de 1 milliard de barils de réserves, contre 123 millions pour Chinguetti. Viendra aussi le gaz naturel de Banda, ce gisement voisin de Chinguetti étant en cours d’appréciation, tout comme celui de Tevèt (pétrole)
C’est bel et bien la baraka qui frappe la Mauritanie, un pays connu jusqu’à présent pour ses dunes, ses dattes, son excellent minerai de fer (10 à 11 millions de tonnes qui rapportent 200 à 250 millions de dollars par an) et ses ressources halieutiques (exploitées pour l’essentiel par les pêcheurs de l’Union européenne, laquelle paie une redevance annuelle de 110 millions de dollars).
De rares compagnies se sont intéressées au pays dans les années 1970, dans le prolongement des grandes découvertes pétrolières en Algérie et en Libye. Elles recherchaient donc la même chose : de grands gisements, sinon rien ! Elles bouchèrent les quelques forages et plièrent bagage. Les quelques traces d’huile n’étaient guère motivantes au prix du baril de l’époque (moins de 10 dollars). Ce que le commun des mortels ignore, c’est que les archives de la moindre exploration pétrolière ne sont jamais jetées, mais sauvegardées par les compagnies elles-mêmes et les pays concernés qui en reçoivent copie.
C’est par hasard qu’un explorateur indépendant, l’Australien Max de Vietri, intéressé alors par les mines d’or, tombe à la fin de 1994 sur les archives du ministère mauritanien des Mines et de l’Industrie. Avant de partir à la recherche de documents plus complets au siège même des compagnies à Houston, Londres et Paris. Il dépense quelques milliers de dollars qui se transformeront, dix ans plus tard, en millions
Grâce à lui, une nouvelle aventure commence : la carte pétrolière est redessinée, des zones de recherche sont définies, des compagnies plus intéressées arrivent. Pendant ce temps, le prix du pétrole grimpe à 20, 30 et 40 dollars Tout redevient possible. La première compagnie – et à ce jour la plus chanceuse – débarque en 1998 : l’australienne Woodside Petroleum. Un consortium est formé avec d’autres petites sociétés, Hardman, Roc Oil Le premier forage sera le bon : le pétrole jaillit des entrailles de Chinguetti, à 80 km au large de la capitale, à 800 mètres de profondeur d’eau et 2 600 de profondeur de sol, le 13 mai 2001, à 5 h 30 du matin.
La bonne nouvelle est aussitôt transmise au président de la République Et les consignes tombent : prudence, pas d’euphorie. Ce premier résultat doit être confirmé par de nouveaux forages, chacun d’entre eux coûtant entre 10 millions et 12 millions de dollars. Le secret sera respecté. Jusqu’en décembre 2003, quand Chinguetti est déclaré commercialement exploitable. Mai 2004 : le projet est évalué : un minimum d’investissement de 600 millions de dollars, qui atteindra 750 millions en 2005. Et les choses sérieuses démarrent. L’État mauritanien prend une part de 12 % dans le consortium, ce qui lui permet d’être présent à tous les stades de l’activité, de l’exploitation à la commercialisation.
Max de Vietri fonde une nouvelle entreprise, Baraka, et s’associe avec un homme d’affaires mauritanien, Isselmou Tajedine, pour relancer l’exploration à l’intérieur du pays, à l’est, dans le bassin de Taoudeni, et au sud, à la frontière avec le Sénégal. Il n’est plus seul, mais entouré de plusieurs autres partenaires et concurrents, des firmes asiatiques (CNPCIM, Chine, Petronas, Malaisie), européennes (British Gas, Total, Dana, Respol)
L’impact de cette manne pétrolière se fera sentir dès 2006 avec, selon le Fonds monétaire international, un taux de croissance économique de 26,9 % en termes réels (inflation déduite), contre 5,4 % en 2005. Le chiffre d’affaires de l’activité pétrolière devrait atteindre entre 850 millions et 1 milliard de dollars (pour 18,6 millions de barils exportés). L’État compte engranger – fiscalité et royalties – 180 millions de dollars, soit 22,5 % de ses recettes totales en 2006. Des augmentations de salaires sont promises aux fonctionnaires, des projets sociaux et économiques qui attendaient depuis longtemps peuvent être lancés La mission du FMI qui s’est récemment rendue à Nouakchott (17-28 janvier) a exprimé sa satisfaction, mais reste prudente : elle retournera fin avril-début mai pour s’assurer que les promesses de bonne gestion et de transparence des deniers publics sont tenues.

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