Joseph-Antoine Bell : « L’Égypte n’a pas volé sa victoire »

Aujourd’hui consultant à Radio France internationale, l’ancien gardien de but des Lions indomptables camerounais juge le foot africain.

Publié le 21 février 2006 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique/L’intelligent : Le football africain a-t-il progressé ?
Joseph-Antoine Bell : De nombreuses équipes ont débarqué en Égypte sans projet ni plan de jeu. La CAN leur a servi de champ d’expérimentation, et c’est très bien ainsi. Au rayon des satisfactions, il faut citer plusieurs « petites » équipes, comme la Zambie, le Zimbabwe, voire la Libye et la RD Congo. Elles ont fait preuve d’un état d’esprit exemplaire et pratiqué un jeu offensif intéressant. Leurs progrès sont indiscutables. Kalusha Bwalya et Charles Mhlauri, les entraîneurs zambien et zimbabwéen, sont d’anciens footballeurs qui sont devenus d’excellents pédagogues.
Brillantes offensivement, ces équipes ont de sérieuses carences défensives…
Ne laissons pas croire que lorsqu’on attaque on est forcément mauvais derrière. Le vrai football, c’est d’attaquer quand on a le ballon et de défendre quand on le perd. Kalusha et Mhlauri sont arrivés avec des intentions offensives, mais ils n’ont sans doute pas eu le temps d’inculquer à leurs joueurs des notions tactiques défensives.
Sur les soixante-treize buts marqués, beaucoup l’ont été à la suite de grosses erreurs défensives ou de bévues des gardiens
Un certain nombre d’équipes sont allées de l’avant, ont mis du rythme, ce qui a fini par déstabiliser leurs adversaires. Trop sollicités, les défenseurs ont perdu en lucidité, faibli, commis des fautes Plusieurs gardiens ont pour leur part été victimes d’accidents, à l’exemple du Sénégalais Tony Sylva, qui a raté sa CAN parce qu’il était mal entouré sur le plan pédagogique. Mais il reste un excellent joueur.
Des cinq futurs mondialistes, seule la Côte d’Ivoire a tenu son rang
Oui, mais les équipes d’Angola et du Ghana, par exemple, vont disputer la Coupe du monde pour la première fois. Elles iront en Allemagne avec la peur au ventre, ce qui les incite à mettre en place des dispositifs très défensifs censés leur permettre de résister à des adversaires plus forts qu’elles. Elles ne font pas totalement fausse route, mais, à la CAN, ce choix tactique ne se justifiait pas. Le Black Star du Ghana, notamment, peut nourrir des regrets, tant il dispose de talents.
Les grandes équipes ne se sont pas montrées beaucoup moins frileuses
Certains décideurs répètent à l’envi que le football africain a progressé, mais est-ce toujours vrai ? On attendait des grandes formations qu’elles produisent un jeu flamboyant, attaquent et marquent des buts. Ce ne fut pas le cas parce qu’il n’y a pas de véritable conception du jeu en Afrique. Lors de leur quart de finale, Camerounais et Ivoiriens ont ainsi produit un jeu désolant. On aurait cru deux équipes européennes des années 1990 !
Ils n’ont pas été les seuls
C’est vrai, mais la responsabilité en incombe aux entraîneurs, même si je peux comprendre que, compte tenu du peu de temps qu’ils passent avec leurs joueurs, ils n’aient pas osé prendre des risques. Refuser de faire du spectacle n’est pas le meilleur choix. Il y a urgence à faire appel à des techniciens affirmés, avec des idées claires et des objectifs précis.
La qualité du jeu produit par les Ivoiriens incite-t-elle à l’optimisme dans la perspective du prochain Mondial ?
Non, si l’on se réfère à leurs trois premiers matchs. Oui, si l’on prend en compte leurs sorties face au Cameroun, au Nigeria et à l’Égypte, en finale. Au Mondial, ils ont la chance de figurer dans un groupe très, très fort. L’Argentine, les Pays-Bas et la Serbie vont tenter de leur imposer leur style. Du coup, ils n’auront pas à prendre l’initiative et pourront se contenter de défendre en attendant de trouver des espaces pour contre-attaquer. Leur jeu pourra se mettre tranquillement en place, à condition qu’ils n’encaissent pas de buts trop tôt.
À l’exception du Camerounais Samuel Eto’o et de l’Ivoirien Didier Drogba, toutes les stars ont failli
Sans doute parce que l’environnement technique au sein des clubs européens où ils jouent habituellement est plus valorisant, davantage fondé sur la complémentarité. Certains expatriés s’octroient au sein de leurs équipes nationales des responsabilités qu’ils ont parfois du mal à assumer.
L’équipe d’Égypte d’aujourd’hui est-elle meilleure que ses devancières des années 1984-1998 ?
Elle est peut-être limitée sur le plan des talents individuels, mais en tant qu’équipe c’est l’une des meilleures de ces vingt dernières années. Le mérite en revient à l’entraîneur Hassan Shehata, qui a réussi à bâtir une formation entreprenante, volontaire et solidaire. Ses joueurs ne calculent pas, vont de l’avant, pratiquent un football de mouvement. Voir un technicien africain remporter la CAN, cela fait chaud au cur.

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