Iran : plutôt le dialogue que les sanctions
Certains parlent de l’Iran comme de l’ex-Union soviétique, comme si c’était un État totalitaire sans aucune liberté d’opinion. La démocratie iranienne a certes ses limites, mais ce n’est pas l’URSS. La récente élection présidentielle, avec son large éventail de candidats conservateurs et réformistes, a été plus vigoureusement disputée que les élections égyptiennes, dont le président George W. Bush a pourtant fait un éloge enthousiaste. Mahmoud Ahmadinejad s’est heurté à une vive opposition au Parlement, qui a mis autant d’énergie que le Congrès américain à rejeter certaines candidatures à des postes importants. Et les journaux locaux ont critiqué les déclarations présidentielles au sujet d’Israël.
La position constitutionnelle du président iranien n’est pas comparable à celle de son homologue américain. Le problème nucléaire et la politique étrangère sont, en Iran, la prérogative du Guide de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei. Et le bruit a couru de l’existence de tensions entre ce dernier et le président.
L’Histoire joue un rôle important dans l’attitude des deux pays. Les Américains se souviennent de l’humiliante crise des otages (1979-1981). Les Iraniens, eux, n’ont pas oublié les milliers de morts de la guerre Iran-Irak (1980-1988). Ils constatent que Saddam Hussein a été accusé d’utiliser des armes de destruction massive contre son peuple, mais pas contre l’Iran. Les plus âgés font le parallèle entre l’actuelle intervention occidentale sur le problème du nucléaire et le renversement, en 1953, du Premier ministre Mohamed Mossadegh, à l’issue d’un coup d’État fomenté par les Américains et les Britanniques. Parce qu’il avait osé nationaliser le pétrole iranien.
Pour toutes ces raisons, l’Iran n’est pas aussi antiaméricain ni aussi religieux qu’il y paraît. La condamnation la plus convaincante des attentats du 11 septembre 2001, je l’ai d’ailleurs entendue dans la bouche de Mohamed Khatami, le président iranien de l’époque, qui estimait qu’il s’agissait là d’un « acte de nihilisme » qui n’avait « pas sa place dans la pensée islamique ». Et pourtant, l’objectif de la stratégie américaine est d’isoler davantage l’Iran, et même d’essayer de l’empêcher de collaborer avec le Pakistan et l’Inde à la construction d’un oléoduc – ce qui conforterait pourtant sa volonté de contribuer à la stabilité régionale et aurait de fructueuses retombées économiques pour les trois pays. Cette politique est absurde.
L’Occident rechigne généralement à reconnaître le rôle de puissance régionale de l’Iran, bien que celui-ci ait été considérablement renforcé par l’invasion de l’Irak. Les États-Unis ont eu besoin de l’aide de Téhéran lorsqu’ils ont envahi l’Afghanistan, et elle leur a été accordée. Bien que l’Iran ne ?se soit pas opposé à l’invasion de l’Irak, il a été exclu de toute participation à la reconstruction d’un pays dans lequel il a pourtant des intérêts naturels. La coopération iranienne sera encore nécessaire à l’avenir dans ce pays. Mais les Iraniens sont très sensibles au sort de leurs coreligionnaires. Il y a deux ans, lors d’un voyage à Téhéran, j’ai vu dans le centre-ville d’immenses photos tirées des journaux occidentaux montrant des prisonniers musulmans victimes de sévices à la prison d’Abou Ghraib.
Les États-Unis imposent déjà des sanctions à l’Iran. Comme celles infligées à Cuba, elles ont probablement contribué à consolider un régime impopulaire. Dans les deux pays, le gouvernement est parvenu à instrumentaliser la menace étrangère. Chaque fois qu’un avion iranien s’écrase, c’est la faute aux sanctions. L’Amérique a beau se réjouir d’empêcher l’Iran de vendre du gaz à l’Inde, il est peu probable qu’elle aille jusqu’à décréter un embargo pétrolier dont elle-même aurait à souffrir. De toute façon, on voit mal comment de nouvelles sanctions pourraient faire changer d’avis qui que ce soit.
Il se peut que le point de non-retour soit d’ores et déjà franchi. Mais il faut espérer que, même à ce stade, le dialogue politique se poursuivra et que l’on prendra en compte les craintes justifiées que l’Iran peut avoir pour sa sécurité. La meilleure politique, ce serait de rouvrir l’ambassade des États-Unis à Téhéran, de renoncer à toute sanction, sauf celles qui concernent la technologie militaire, d’encourager les investissements en Iran et d’inciter ce pays à multiplier les contacts avec l’Amérique. Une telle stratégie ferait le bonheur de beaucoup d’Iraniens et mettrait le régime fort mal à l’aise.
* Ancien ministre britannique des Finances, lord Lamont est président de la Chambre de commerce anglo-iranienne.
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