[Chronique] Ethiopian Airlines en Chine : s’il n’en restait qu’un

Alors que tous les opérateurs africains ont suspendu leurs lignes en provenance et à destination de la Chine, Ethiopian Airlines a choisi de maintenir ses dessertes.

Ethiopian Airlines est le symbole de l’essor de l’Afrique dans le secteur de l’aérien © Kambui

Ethiopian Airlines est le symbole de l’essor de l’Afrique dans le secteur de l’aérien © Kambui

Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 19 février 2020 Lecture : 3 minutes.

Après la très dure épreuve du crash de son Boeing 737 Max en mars 2019, qui fut un événement de portée mondiale pour l’industrie, Ethiopian Airlines se retrouve à nouveau sous les feux de l’actualité. Alors que l’épidémie de Covid-19 (nouvelle dénomination du coronavirus), a été déclarée le 11 février « très grave menace pour le monde » – plus de 1 100 décès, 45 000 individus contaminés –, le géant des airs d’Addis-Abeba a surpris une partie de l’opinion publique occidentale, par trop rompue au « principe de précaution ».

À rebours de la plupart des compagnies mondiales et de tous les opérateurs africains, l’entreprise dirigée par Tewolde GebreMariam a maintenu ses dessertes en Chine, revoyant cependant à la baisse la fréquence hebdomadaire de ses liaisons et la taille de ses appareils pour s’adapter à un trafic en retrait. Cet entêtement a fait réagir le président kényan, Uhuru Kenyatta, qui a exhorté, au début de février, la compagnie du grand voisin à suspendre ses vols par crainte que les systèmes de santé des pays de la région trop vulnérables ne puissent résister au choc d’une contagion.

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Ne pas céder à « l’hystérie »

Du côté d’Addis-Abeba, on se défend de toute décision provocatrice en se rangeant derrière une position raisonnable : l’OMS, dirigée par l’Éthiopien Tedros Ghebreyesus, ne préconise pas de limiter les déplacements et les échanges commerciaux avec la Chine, déclarant qu’une suspension des vols ne mettrait pas fin à l’épidémie. Tout est question d’équilibre, nous explique un officiel éthiopien, qui assure que, si le Covid-19 venait à se propager plus encore et le thermomètre de l’OMS à rougir davantage, aucune option ne serait exclue.

En attendant, souffle-t-on en creux à Addis, il s’agit de ne pas céder à « l’hystérie » ambiante et à une ostracisation trop facile de la Chine, qui ne manque pas d’adversaires. Et ce d’autant plus que d’autres compagnies qui relient l’Afrique à la Chine, comme Emirates ou Etihad, continuent de desservir Pékin, Shanghai ou Canton, et qu’il est d’ailleurs possible depuis l’empire du Milieu d’entrer en Éthiopie via Singapour ou la Malaisie.

Pékin qui a investi des milliards de dollars en Ethiopie, aurait probablement peu goûté une défection de la compagnie

Mais, plus que toute autre, dans cette tempête, la compagnie éthiopienne ne pouvait être la première « à quitter le navire » : s’il n’en reste qu’une, ce sera elle, qui a préféré manifester sa solidarité avec ses « frères et ses sœurs chinois », dixit Tewolde GebreMariam, comme elle l’avait fait sur le continent durant l’épidémie d’Ebola ou la guerre civile angolaise. Présente depuis 1973 en Chine, elle est l’une des plus anciennes compagnies à y atterrir. Le géant asiatique est son plus gros marché en dehors de l’Afrique. Les deux régimes, qui ont longtemps eu en commun un certain socialisme, sont alliés, et l’ancien empire abyssinien, qui n’a pas connu la colonisation, était cité en exemple par Mao.

Super-connecteur mondial

Plus encore : avec ses trente-cinq vols passagers et ses quinze vols cargo hebdomadaires, pour 4 000 voyageurs chinois quotidiens transportés, Ethiopian Airlines reste surtout la plus grande porte d’entrée de la Chine en Afrique – lui ouvrant le chemin via son hub d’Addis-Abeba vers 38 marchés – et un maillon essentiel des relations sino-africaines. Il suffit pour s’en rendre compte de monter à bord de son Addis-Pékin, fréquenté à 90 % par des cols blancs et des cols-bleus chinois, ou de son Canton-Addis, rempli à 90 % d’importateurs africains, ou de traverser les marchés de Canton et de Hong Kong, où elle dispose de ses propres comptoirs d’expédition de fret. Pékin a investi des milliards de dollars dans les infrastructures et le tissu industriel éthiopiens. Une défection d’Ethiopian aurait été probablement un mauvais signal envoyé aux investisseurs chinois en Afrique.

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Au moment où Addis lance le chantier de son méga-aéroport, destiné à accueillir 100 millions de passagers et qui devrait faire de la compagnie nationale un super-connecteur mondial, à l’instar de Turkish Airlines ou d’Emirates, Ethiopian continue de creuser son propre sillon et rappelle à ses détracteurs que sa maturité, sa ténacité et sa maîtrise des risques ont été jusque-là un facteur de son insolente croissance. Même si elle venait à suspendre ses vols à destination de la Chine, Ethiopian persiste (ou s’obstine, c’est selon) à décider seule de ses choix stratégiques, à rebours des opinions occidentales et africaines. Le signe, peut-être, que le centre de gravité du développement s’est déplacé.

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