[Tribune] « Les Misérables », affaire classée ?
Film « coup-de-poing »sur la banlieue, «Les Misérables » du réalisateur franco-malien Ladj Ly gagnerait à être montré durablement dans les écoles et les ciné-clubs. Et, au delà d’une visibilité médiatique éphémère, à être inscrit dans l’histoire du cinéma français.
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Léonard Cortana
Doctorant en cinéma à la New York University et chercheur au Berkman Klein Center de Harvard.
Publié le 19 février 2020 Lecture : 2 minutes.
Les médias et les critiques de cinéma français ont recyclé l’expression « film coup-de-poing sur la banlieue » pour parler du film Les Misérables du réalisateur franco-malien Ladj Ly. Comme pour ses prédécesseurs La Haine, Dheepan ou encore Divines, on se demande pourtant combien d’uppercuts cinématographiques notre société sera capable de recevoir avant de tomber K.O.
Selon le Larousse, l’expression « coup-de-poing » s’emploie « en opposition pour justifier quelque chose de violent et de soudain ». « Violent », oui. Ces films déclinent plusieurs formes de violences physiques et psychologiques qui questionnent l’héritage d’années de désintégration dans des espaces périphériques, allégorie du lointain. « Soudain », sans doute plus, tant notre imaginaire collectif a été nourri d’images et d’événements, au rythme effréné des cas de bavures irrésolus.
Connexion éphémère
Comment notre société peut-elle se permettre une connexion si éphémère avec le sujet de ces films, alors que le spectre des victimes de violences policières, comme Zyed, Bouna, Adama, Théo et Cédric, et d’autres brutalités envers les manifestants continuent à hanter l’actualité ? Là est l’enjeu pour ce film, qui risque de perdre toute son aura médiatique après sa défaite aux Oscars, dans la catégorie « meilleur film étranger », face à Parasite et une fois passée la soirée des Césars.
Transformons ces « films coup-de-poing » en « films tremplins »
Mobilisons-nous pour transformer ces « films coup-de-poing » en « films tremplins ». Inscrivons Les Misérables dans l’histoire du cinéma français, qui met peu en valeur les œuvres sur ce thème. Montrons-le dans les écoles, les ciné-clubs et autres espaces de mixité sociale pour créer des discussions. Rattachons son propos à l’actualité politique, à l’abandon, par exemple, du plan Borloo pour les banlieues, comme Ladj Ly l’a fait pendant la promotion du film. Donnons plus d’espace médiatique à des lanceurs d’alerte comme Sihame Assbague ou Assa Traoré, qui nous éclairent sur la dimension systémique de ces violences et la criminalisation presque automatique des victimes.
Pour le Larousse, un tremplin est « ce qui donne un élan pour atteindre un objectif ». Belle métaphore qui défie l’apesanteur et le destin de ceux que l’on enterre, les morts mais aussi les affaires classées sans suite. Belle métaphore aussi pour le vol transatlantique de Ladj Ly, qui est allé porter son film aux Oscars. Et pour le bond en avant que tant de sociétés et de gouvernements doivent faire pour trouver des solutions contre ces violences complexes et bien trop ancrées dans la banalité de notre quotidien.
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