[Tribune] Coronavirus : péril sur le baril de pétrole
Pour le Cameroun, comme pour les pays africains au profil similaire, les temps qui s’ouvrent s’annoncent périlleux. En l’absence d’un coup de pouce du destin, le coronavirus pourrait bien faire des victimes politiques considérables en Afrique.
Au dernier décompte, 29 pays dans le monde sont touchés par le coronavirus. L’Afrique, qui espérait échapper à la contagion, est à son tour touchée depuis qu’un cas de coronavirus a été révélé en Égypte. La question qui se pose désormais est celle de la propagation du virus à l’ensemble du continent, et ses conséquences. D’autant plus que Bill Gates à estimé, lors de la récente conférence de Munich sur la sécurité, que l’arrivée du coronavirus sur le continent pourrait causer dix millions de morts.
Dans tous les cas, à l’heure de la mondialisation et compte tenu du poids de la Chine dans l’économie mondiale, il était illusoire de prétendre à quelque immunité contre les conséquences du coronavirus. Et de fait, l’Afrique ressentait déjà les premières secousses, économiques, du virus originaire de Wuhan.
Ethiopian Airlines est par exemple l’une des seules compagnies africaines qui maintient, quoi qu’à une fréquence significativement réduite, ses vols directs vers la Chine. Commerçants et gens d’affaires sont limités dans leurs mouvements.
Si cette situation devait perdurer, l’inflation pourrait poindre le bout de son nez dans certains pays. Quarantaine en Chine oblige, les chaines d’approvisionnement sont perturbées, et certains secteurs (comme le e-commerce) en ressentent déjà les effets. Et puis il y a les exportateurs de matières premières, pour qui le coronavirus présente un enjeu autant économique que politique.
La Zambie, par exemple, dont l’économie dépend fortement de « Docteur Cuivre » et dont la Chine est le deuxième marché d’exportation après la Suisse, donnerait beaucoup pour qu’un vaccin soit trouvé rapidement. Que dire de l’Angola, dont 60 % des exportations vont en Chine ?
Ralentissement anticipé
Mais c’est l’or noir qui, comme souvent, est source des plus fracassants revers de fortune. Sans surprise, en raison du ralentissement anticipé de l’économie mondiale, le prix du baril baisse depuis le début de l’épidémie. Les pays importateurs de pétrole jubilent, tandis que les exportateurs font la grimace.
Le cas des pays producteurs de pétrole d’Afrique centrale est emblématique de la géopolitique du pétrole, et des conséquences, notamment politiques, qu’elle peut avoir. Tous ces pays sont sous ajustement structurel du FMI depuis juin 2017, conséquence, déjà, d’une baisse antérieure des cours du pétrole sur leurs économies.
En contrepartie de réformes dites « structurelles », ils reçoivent une aide financière vitale. Sous ce programme, le Cameroun, considéré comme la « locomotive » de la région, recevra par exemple 666,2 millions de dollars, déboursés au rythme de la validation de ses réformes par le Fonds. Cette infusion d’argent frais, qui complète d’importantes contributions de la Banque africaine de développement, de la France et de l’Union européenne, est cruciale pour ce pays au bord de l’asphyxie.
Il traîne en effet un déficit public rendu structurel par des dépenses de fonctionnement inutilement exorbitantes, et plus récemment par des dépenses militaires consécutives entre autres à une guerre évitable menée contre le séparatisme anglophone. L’évolution de sa dette donne des insomnies à nombre de ses bailleurs de fonds. Son secteur privé tourne au ralenti en raison des tensions de trésorerie de l’état. Enfin, la consommation intérieure baisse, ce qui affecte le quotidien de milliers de Camerounais qui, dans l’informel, tirent le diable par la queue.
Malgré les recommandations de ses financiers, le pays s’est toujours refusé à construire une économie viable, préférant se reposer sur une exploitation pétrolière qui représente le tiers de ses exportations et rapporte à elle seule l’équivalent de 2,2 % du PIB. Un confort trompeur qui correspond au tempérament dilettante du régime Biya.
Le budget du pays a été établi sur l’hypothèse, jugée conservatrice, d’un prix du baril fixé à 55,30 dollars. Or, à l’heure où sont écrites ces lignes, celui-ci semble se stabiliser autour de 54 dollars. Si cette situation devait perdurer, le Cameroun entrerait alors dans une zone de fortes turbulences. La crise économique larvée que connait le pays s’aggraverait, le contraignant à des ajustements dont les conséquences politiques seraient majeures.
Réticences russes
Les producteurs de pétrole africains sont donc condamnés à espérer une remontée rapide et durable des cours de l’or noir. Celle-ci pourrait venir soit d’un vaccin contre le coronavirus, soit d’une réduction de la production de pétrole décidée par les pays de l’Opep+ (qui regroupe les membres de l’Organisation et dix autres pays producteurs). Or une telle décision tarde à venir en raison des réticences de la Russie, moins dépendante du pétrole que l’Arabie saoudite, le leader naturel de l’Opep.
Il n’est par ailleurs pas sûr qu’une éventuelle baisse de la production mondiale soit suffisante pour faire remonter durablement les cours. Car depuis quelques années, en raison de la révolution du schiste, les États-Unis sont le premier producteur mondial de pétrole. Donald Trump a donc une carte importante à jouer sur ce terrain. Or, en pleine campagne électorale, celui-ci a intérêt direct à ce que les prix à la pompe soient bas sur son territoire ; ce d’autant plus qu’un tel contexte contribuerait à affaiblir l’Iran, son meilleur ennemi.
Pour le Cameroun, comme pour les pays africains au profil similaire, les temps qui s’ouvrent s’annoncent périlleux. En l’absence d’un coup de pouce du destin, le virus de Wuhan pourrait bien faire des victimes politiques considérables en Afrique.
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