Appellation d’origine non contrôlée

Trois ans après son entrée en vigueur, le système censé moraliser le commerce des gemmes est loin d’avoir répondu aux attentes initiales.

Publié le 21 février 2006 Lecture : 5 minutes.

Associé à la passion et à l’amour dans les sociétés occidentales, le diamant est plutôt synonyme de guerre, de misère et de pauvreté en Afrique. Son exploitation met en effet en scène des travailleurs s’échinant dans les mines poussiéreuses ou de petits producteurs indépendants vivant dans des conditions assez rudes, ainsi que des intermédiaires véreux alimentant tout un trafic de contrebande. Un cliché dont le continent a le plus grand mal à se départir malgré la mise en uvre du Processus de Kimberley depuis le 1er janvier 2003. Cette initiative, du nom d’une ville minière sud-africaine, est le résultat de longues négociations entre pays producteurs, consommateurs et industriels, particulièrement le géant sud-africain De Beers, sous la pression croissante de la société civile. Tous se sont mis d’accord pour instaurer un nouveau système de certification destiné à moraliser ce commerce et mettre fin aux trafics qui ont financé plusieurs guerres sanglantes.
Un peu plus de trois ans après son entrée en application, le Processus est loin d’avoir répondu aux attentes initiales. Global Witness, une ONG établie à Londres, a présenté, en novembre dernier, un rapport alarmant mettant au jour les failles de ce système adopté par 69 pays, notamment les plus importants producteurs de diamants bruts comme la Russie ou le Botswana.
Le trafic de la pierre précieuse continue d’alimenter les conflits en Afrique, particulièrement en Côte d’Ivoire. Dans les lits des rivières du nord-ouest du pays, les chercheurs artisanaux exploitent le diamant alluvionnaire pour le compte de quelques chefs de guerre, liés à des intermédiaires, principalement libanais. Interdites de commerce par les Nations unies, les gemmes ivoiriennes, de couleur verdâtre et de qualité moyenne pour les joailliers, transitent généralement par le Mali, qui n’est pas encore membre du Processus de Kimberley, avant de gagner la Guinée, qui en est signataire. Là, les revendeurs se procurent sans difficulté un faux certificat de provenance légale des pierres, qui permettent de les blanchir avant leur acheminement vers les centres de taille mondiaux. Estimée à 300 000 carats par an, la production ivoirienne illégale constitue une importante source de revenus pour les rebelles des Forces nouvelles. Au Liberia voisin, où le diamant est également sous embargo, les pierres précieuses continuent à se volatiliser via les frontières poreuses du pays, particulièrement vers la Guinée. Global Witness a également découvert que le Liban continue d’importer des pierres brutes de la République du Congo, un pays exclu du Processus de Kimberley en 2004 pour ne pas s’être conformé aux procédures. Plus globalement, un grand nombre d’États signataires ne jouent pas le jeu en ne fournissant pas les données complètes des transactions. L’ONG épingle particulièrement la Bulgarie, la République centrafricaine, la Chine, la Guinée, le Ghana, la Guyane, le Laos, le Lesotho, la Tanzanie, mais aussi les États-Unis.
Près de 90 % de la production de gemmes et 50 % des diamants taillés passent par Anvers, en Belgique, pour un chiffre d’affaires supérieur à 20 milliards de dollars par an, soit 8 % des exportations annuelles du royaume. Installées dans le quartier de Pelikaanstraat, plus de 1 500 sociétés diamantaires sont enregistrées dans un périmètre d’à peine plus de 1 km2. À leur tête, des membres des communautés juive – dont les Hassidim, facilement reconnaissables avec leurs papillotes, leurs barbes et leurs chapeaux noirs -, arménienne et indienne. Selon les rites immuables de la profession, les diamants se vendent et s’achètent sur la parole donnée, avec un sonore mazal ou brakha (« chance » et « bénédiction », en hébreu) pour sceller le marché. Le négoce est de plus en plus aux mains des négociants jaïns du nord de l’Inde, qui réalisent 65 % des transactions*, mais les Libanais restent très présents dans le commerce avec l’Afrique de l’Ouest et centrale. Difficile de leur arracher quelques mots sur leurs activités. Dans la métropole flamande, le négoce est et restera d’une grande opacité. « Cela tient à la nature même du produit, sa petite taille, qui lui permet d’échapper à tout contrôle lors des opérations de collecte, de transport et de vente », explique un négociant, sous couvert d’anonymat. Mais aussi à la législation belge, qui impose les diamantaires sur leurs déclarations de chiffre d’affaires, sans autre vérification.
« Entre 10 % et 20 % de la production africaine de diamant alluvial s’acquitte de taxes, estime la même source. Beaucoup de pierres sont taillées frauduleusement pour échapper au Processus de Kimberley, qui ne porte que sur le négoce des gemmes. » Un grand nombre d’intermédiaires et de petits négociants vivent sur ce marché, car ils n’ont pas accès aux diamants des grandes mines. De Beers, qui assure 60 % du négoce mondial de pierres brutes, ne travaille qu’avec 86 clients privilégiés, appelés les sightholders, à qui elle impose ses prix et un cahier des charges très précis. Les autres poids lourds de l’industrie minière fournissent prioritairement les grandes sociétés. Cette concentration de l’offre est très mal vécue par les petites maisons de négoce. « Nous avons constaté, explique André Gumuchdjian, président de l’Association belge des négociants de pierres polies (BVGD), une forte augmentation des prix du diamant et une baisse des stocks disponibles lors des trois dernières années. Cela est largement dû à la politique de De Beers, qui a introduit, en 2002, un nouveau programme intitulé Supplier of choice qui oblige ses clients à vendre leurs diamants directement aux bijoutiers. Par conséquent, moins de pierres arrivent sur le marché. Cela est un abus de position dominante » L’association anversoise, qui regroupe quelque 180 sociétés, accuse le groupe sud-africain de vouloir, sous de faux prétextes, discréditer le diamant alluvial africain, qui échappe, en grande partie, à son contrôle. Elle a déposé une plainte devant la Commission européenne pour concurrence déloyale.
De Beers, lui, s’en défend Le groupe n’a fait que réagir stratégiquement à la nouvelle concurrence mondiale. L’ancien monopole établi dans les années 1920 par sir Ernest Oppenheimer n’est plus ce qu’il était. À l’époque, la société contrôlait 90 % de la production et pouvait donc maîtriser à la fois les prix et la destination finale des diamants. Aujourd’hui, elle doit compter avec l’australien Rio Tinto et l’anglo-australien BHP-Billiton, qui exploitent désormais des gisements au Canada et en Australie, ou encore avec le milliardaire israélien d’origine russe Lev Leviev, qui contrôle 10 % de la production mondiale en exploitant des mines acquises en Russie, en Angola et en Namibie. De Beers a donc décidé d’intégrer la filière en aval pour dégager de nouvelles ressources. Le commerce du diamant brut représente 11,2 milliards de dollars par an, contre plus de 60 milliards pour celui de la joaillerie. La firme a donc commencé à « poinçonner » les pierres de son logo pour le marché asiatique et s’est lancée dans la création : concours de bijoux pour les designers, collaboration plus étroite avec les joailliers. Les publicités mettant en scène le produit lui ont coûté la bagatelle de 180 millions de dollars en 2004. Après l’ouverture d’une boutique à Londres, sur Old Bond Street, puis de quatre autres au Japon et d’une à New York, sur la Cinquième Avenue, De Beers installera bientôt une enseigne à Paris et à Dubaï. Une stratégie payante : le leader du diamant vient d’annoncer un bénéfice de 554 millions de dollars en 2005, en hausse de 56 millions, et une progression de 7 % de ses ventes de bijoux.

* Le succès de cette communauté qui pratique une religion non violente, où dominent le végétarisme et le respect des êtres vivants, provient de la capacité à délocaliser ses ateliers de taille dans les entreprises familiales de Bombay et du Gujarat.

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