Votre ADN, s’il vous plaît !
Après l’Islande, la Grande-Bretagne lance une vaste opération de recensement. Les gènes de 1,2 million de personnes seront fichés. Objectif : déterminer les causes des maladies les plus courantes.
Les autorités britanniques vont entreprendre le fichage génétique de plus de 1 million de leurs concitoyens. De quoi faire frémir ? A priori non. Ce recensement génétique, le plus grand de l’Histoire, a une vocation scientifique. Baptisé BioBank, il nécessitera un financement de 120 millions de dollars. Les fonds nécessaires à sa mise en route, 72 millions de dollars, ont été fournis en avril 2002 par la Wellcome Trust – un fonds de charité pour la recherche médicale d’un budget de 20 milliards de dollars -, le Medical Research Council et le ministère britannique de la Santé. L’objectif est d’identifier les causes des maladies les plus dévastatrices, des accidents cardio-vasculaires à la maladie d’Alzheimer et aux cancers, dont on sait qu’elles sont dues à une interaction complexe entre les gènes, l’environnement et le mode de vie.
Ce n’est pas une première. Les Islandais ont été les pionniers de ce type de recensement. L’objectif de l’île, où la population est très homogène, était d’étudier les maladies génétiques héréditaires de près de 80 000 citoyens apparentés. En France, il existe une banque génomique, sous la tutelle du Généthon, mais son sujet d’étude se limite aux maladies génétiques. Le National Genome Research Institute américain affûte également ses outils afin de se lancer dans l’aventure. L’Estonie, la Suède et la Lettonie envisagent elles aussi de constituer une telle base de données. Mais face à l’ampleur de la tâche, tant financièrement que techniquement, seule la Grande-Bretagne n’a pour l’heure pas reculé. L’ambition est de démêler, dans les dix ou vingt prochaines années, la façon dont les gènes et l’environnement (le tabac, l’alcool, les virus, la pollution, l’exercice et le régime alimentaire) interfèrent pour causer les maladies communes et dans quelle mesure. L’entreprise, si elle aboutit, aura une vocation universelle. Car contrairement à l’initiative islandaise, la britannique ne concernera pas que des personnes apparentées. Si le projet BioBank se poursuit et s’il y a suffisamment de volontaires pour les études pilotes, 1,2 million de Britanniques en bonne santé de 45 à 69 ans donneront des échantillons sanguins. À partir de ce sang, l’ADN sera extrait, purifié et réfrigéré. Quatre-vingt-dix pour cent des donneurs seront blancs, les 10 % restants représenteront la démographie britannique. De là, et à partir de 2008, 500 000 des volontaires seront suivis jusqu’en 2014.
Au début du programme, les participants subiront un bref examen médical et répondront à un questionnaire de dix pages sur leur statut sociologique, économique et psychologique. Il portera notamment sur leur vie sexuelle, leur activité physique, leur utilisation du téléphone portable, leurs préférences en matière de boissons et leur régime alimentaire quotidien sur une semaine. Pendant près d’une décennie, ces « cobayes » seront suivis, grâce à l’enregistrement de chacune de leurs visites chez le médecin. Régulièrement, des actualisations de leur style de vie seront réalisées via de nouveaux questionnaires. Ainsi, selon les statistiques, 40 175 personnes devraient souffrir en 2014 de diabète, de maladies cardio-vasculaires, d’attaques cérébrales ou de cancers, et 6 200 devraient développer la maladie de Parkinson, une forme de démence, de l’arthrite ou de l’ostéoporose. Dès que ces symptômes apparaîtront, les ADN des patients seront décryptés et comparés : la moindre variance d’un gène, la moindre divergence sur un seul nucléotide, qui rendent le malade différent, seront isolées pour être étudiées. De ces éléments à vocation universelle pourront résulter des diagnostics fondés sur l’ADN et de nouveaux médicaments.
Les opposants au programme sont pour l’heure restés discrets, se limitant à quelques commentaires sur la nécessité du programme et son coût. La cause paraît entendue : un groupe d’intérêt public, GeneWatch UK, qui demandait une enquête indépendante sur BioBank, a vu sa requête rejetée par le gouvernement. Pour éviter l’indignation qui a suivi l’annonce du projet islandais et qui a fait échouer un projet comparable sur les îles Tonga, les bailleurs du programme britannique ont consulté des spécialistes de l’éthique, des docteurs, des scientifiques, des compagnies pharmaceutiques et le public avant de formaliser ce recensement.
Car le public s’interroge : quid de la vie privée ? GeneWatch demande toujours la suspension de BioBank, dans l’attente de réponses à certaines questions éthiques : ces données seront-elles accessibles aux compagnies pharmaceutiques, qui pourraient cibler leurs clients, et même leurs politiques de recherche et développement ? Pis encore, seront-elles à la disposition de la justice ?
L’aspect scientifique demeure toutefois indéniable : on sait que les causes de mortalité majeures dans le Nord, comme les maladies cardio-vasculaires et les cancers, ont de multiples origines et impliquent une cascade d’interactions entre de nombreux gènes. Dans quelques décennies, si BioBank aboutit, les médecins devraient pouvoir indiquer à un patient porteur d’une mutation génétique particulière et possédant certaines habitudes de vie que son risque d’avoir une attaque, par exemple, est d’un pourcentage donné. De telles conclusions pourraient surgir d’un panel de volontaires possédant des traits communs. D’ici là, les premiers résultats intermédiaires seront regroupés dans une banque de données, accessible aux spécialistes, en 2014.
Les cancers et les maladies cardio-vasculaires seront les premières cibles de BioBank. Les sujets à risque pourront alors s’en prémunir, ou en diminuer les risques, en modifiant les influences environnementales néfastes, ou en prenant un traitement médicamenteux approprié.
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