Un espoir nommé Mitzna

Battre Ariel Sharon lors des élections du 28 janvier et reprendre sans conditions les négociations avec les Palestiniens : telle est la double ambition du nouveau leader des travaillistes. Itinéraire d’un général converti à la paix.

Publié le 21 janvier 2003 Lecture : 8 minutes.

La seule nouveauté qui soit advenue, depuis plus de dix ans, dans la vie politique israélienne, a un visage et un nom : ceux d’Amram Mitzna, 57 ans, maire de Haïfa, nouveau président du Parti travailliste et, partant, candidat Premier ministre, adversaire numéro un d’Ariel Sharon – face auquel il incarne aussi le seul espoir d’une paix véritable, dans le respect mutuel, entre Israël et les Palestiniens. Il lui suffit presque, à cet effet, de balayer l’immobilisme obtus du triste likoudnik avec la formule d’action définie jadis par Itzhak Rabin : « Négocier sans tenir compte du terrorisme et combattre le terrorisme sans tenir compte des négociations. »
De fait, c’est au signataire des accords d’Oslo, à celui qu’on vit hésiter, pressé par Bill Clinton, à serrer la main de Yasser Arafat sur la pelouse de la Maison Blanche, que fait souvent penser Amram Mitzna. Comme Rabin, c’est un ex-général, qui commanda un moment en Cisjordanie. Et, militaire, il mena aussi sa tâche rudement. Sans aller jusqu’à suivre le conseil de Rabin qui marqua le début de la première Intifada en appelant à « briser les os » des jeunes révoltés, il n’hésita guère, apparemment, à faire détruire les maisons familiales des « terroristes », selon l’inhumaine coutume de Tsahal. Autrement dit, de même que pour son prédécesseur, son parcours politique, d’ailleurs tardif, s’apparente à une sorte de conversion : de la guerre à la paix.
En vérité, sabra (natif du pays), mi-intellectuel, mi-combattant, Mitzna concentre assez bien en lui les problèmes et les contradictions d’Israël. Né en 1945 au kibboutz Dovrat, en Galilée, il entame à l’université de Haïfa des études de géographie et de sciences politiques qu’il mènera jusqu’aux deux licences avant de les compléter ultérieurement par une maîtrise d’administration politique à Harvard. Pourquoi alors décide-t-il, à 18 ans, à l’issue de son service militaire, de rester dans l’armée ? Sans doute parce que la situation régionale lui inspire un sentiment d’urgence. Ainsi, commandant de blindés, combattra-t-il courageusement dans la guerre des Six-Jours, en 1967, puis dans celle du Kippour, en 1973, étant chaque fois blessé et décoré. Devenu brigadier général, il commandera en Cisjordanie de 1986 à 1990, au début de la première Intifada. Puis, nommé chef du département de planification de Tsahal, il quittera l’armée en 1993 avec le rang de général major.
Adhérant au Parti travailliste, il s’engage aussitôt dans la politique par le biais de l’action civique en briguant la mairie de Haïfa. Le succès le couronne. Avec 56 % des voix, il écrase la liste dite « sans parti » d’un Pinhas Narkis (16,5 %) que certains de ses adversaires au Labour avaient tenté de lui opposer, et celle du Likoud, avec 11 %. Mieux encore : alors qu’on le taxait volontiers d’inexpérience, il est réélu cinq ans plus tard avec 64 % des suffrages contre l’« indépendant » Amos Eden (28 %) et le likoudnik Rami Levy, qui s’effondre à 7 %. Le voilà bien armé pour défier, victorieusement, dès août 2002, un establishment travailliste broyé politiquement et psychologiquement par son indéfendable collaboration avec Ariel Sharon. Trois événements semblent, en fait, avoir gouverné son itinéraire. D’abord, l’aiguë prise de conscience d’une certaine arrogance militaire représentée précisément, dès cette époque, par Ariel Sharon. En 1982, durant la guerre du Liban, il offre sa démission pour protester contre l’aventurisme de celui-ci, alors ministre de la Défense. Le Premier ministre Menahem Begin la refusera tandis qu’« Arik », jugé par la commission Kahane « indirectement responsable » du massacre de Sabra et Chatila, devra quitter ses fonctions, tout en restant ministre sans portefeuille. Deuxième événement, bien illustré par les chiffres cités plus haut : la coopération exemplaire qu’il réussit à organiser à Haïfa entre Juifs et Arabes, parvenant même à y rallier une large coalition, allant des communistes arabes du Hadash au Likoud en passant par les ultraothodoxes séfarades du Shas, les ultraorthodoxes ashkénazes d’Agoudat Israël et la droite « russe » d’Israël B’aliya. Parmi ses réussites, celle d’avoir, le premier, amélioré l’infrastructure des écoles publiques arabes, qui étaient « pires qu’au temps des Turcs », pour y accueillir une majorité d’enfants arabes, dont 70 % devaient auparavant fréquenter des établissements privés.
Troisième événement : la sanglante révélation d’un fanatisme juif qu’illustrera, en novembre 1995, le meurtre d’Itzhak Rabin. Mais, dès février 1994, à Hébron, ce sont vingt-neuf musulmans en prière que Barouch Goldstein, descendu de la colonie raciste de Kyriat Arba, massacre au caveau des Patriarches. Dans plusieurs villes, des manifestations d’indignation musulmanes tournent à l’émeute. Mais à Haïfa, Mitzna diffuse en arabe et en hébreu un texte de condamnation et de condoléances, appelant ses concitoyens au calme et à la coopération, qui fut entendu de tous. De même, en octobre 2000, après l’incursion provocatrice de Sharon sur l’esplanade des Mosquées, quand treize Arabes israéliens furent ailleurs tués par la police lors de violentes démonstrations de solidarité avec les Palestiniens, aucune émeute ne dévastera Haïfa. Mitzna descendit en personne au quartier arabe, se mêla aux manifestants et ordonna à la police de ne tirer ni balles réelles ni balles en caoutchouc. Aucun manifestant ne fut tué ni blessé. « Il eut une attitude responsable », se félicita le juge Ayman Oudeh, l’un des conseillers municipaux arabes de la ville. Soit une « expérience » qui vaut bien celle des multiples compromissions cultivées par les Shimon Pérès, Ben Eliezer et autres éclopés du Parti travailliste. Elle permet à Amram Mitzna de présenter, pour la première fois depuis les accords d’Oslo, une véritable politique de rechange à celle qu’incarnèrent Benyamin Netanyahou et Ariel Sharon, voire – à sa sournoise manière – Ehoud Barak lui-même. Elle se ramène, dans l’immédiat, à quelques idées fortes :
– Rejet catégorique du préalable sharonien d’un total « cessez-le-feu » pour reprendre des négociations de paix. « Il est absurde, observe Mitzna, d’exiger que la guerre cesse avant d’en négocier la cessation. » Il appellera donc la direction palestinienne – avec Yasser Arafat – à relancer sans conditions les pourparlers sur la base des progrès déjà réalisés, notamment à Taba en février 2001, voire entre Sari Nusseibeh, représentant de l’OLP à Jérusalem, et Ami Ayalon, ancien chef du Shin Beth (sécurité intérieure israélienne).
– En guise de spectaculaire préambule et de signe de bonne volonté : évacuation totale et sans délai de la bande de Gaza où 6 500 colons souvent extrémistes, répartis en une quinzaine d’implantations protégées par l’armée, constituent autant de foyers de provocation.
– Nouvelle répartition des pouvoirs à Jérusalem, afin de soustraire une majorité de la population palestinienne à l’autorité d’Israël en vue (mais cela n’est pas dit expressément) de faire de la partie arabe de la ville la capitale du futur État palestinien.
– Compromis sur les frontières et les compétences de ce futur État palestinien. C’est, jusqu’ici, la partie la plus floue du programme d’Amram Mitzna, qui évoque, en cas de difficultés, une « séparation unilatérale » avec les Palestiniens, au besoin par le moyen – provisoire ? – d’un mur du type de celui qui est actuellement en construction. Avec une différence importante : aucune colonie juive ne subsisterait du côté oriental de la frontière, et 95 % des implantations actuelles de Cisjordanie, qualifiées de « gangrène », devraient rapatrier leurs habitants en Israël proprement dit.
Illustrant assez bien ses flottements sur ce point, le candidat travailliste, le 7 janvier, après les meurtriers attentats suicide de Tel-Aviv, a soudain reproché à Ariel Sharon de ne pas bâtir assez vite le mur de Cisjordanie : « Sharon, s’indigne-t-il, préfère les colons à la sécurité ! » Et d’expliquer que le retard du Premier ministre à édifier le mur tient à son allégeance idéologique aux colons juifs qui vivent au-delà des frontières de 1967. « Il n’y a pas de mur en raison de considérations politiques. Il n’y en a pas parce que Sharon est engagé dans le projet du Grand-Israël ; parce qu’il se soucie d’abord des intérêts des colons et non de la sécurité des résidents d’Israël. »
La vivacité de cette attaque traduit évidemment le tour nouveau, plus agressif, pris par la campagne électorale. Mais Mitzna est plus convaincant lorsqu’il déplore l’indifférence du Premier ministre aux problèmes économiques : « Arik est installé dans son ranch entouré de ses moutons et de ses conseillers, mais garde le silence, comme s’il ne voyait rien de la pauvreté, des soupes populaires et de l’effondrement économique. Le public crie, et Sharon reste silencieux. Il ne fait rien pour protéger ceux qui ont perdu leurs moyens de vivre. Dans le même temps, il manque déjà 10 milliards à 12 milliards de shekels [1 shekel = 0,20 euro] dans les seules rentrées de taxes, et le budget de la Défense a un trou de 4 milliards à 5 milliards de shekels. »
Son propre programme économique, néanmoins, reste imprécis. Seul est connu jusqu’ici l’homme qu’il a choisi pour le mettre en oeuvre : Avraham Shochat, un ex-ministre des Finances à la compétence reconnue. Entouré d’une équipe de spécialistes, il appliquera les consignes de Mitzna : « En dépit de l’Intifada, attribuer l’argent à ceux qui en ont réellement besoin et non aux yeshivot [séminaires religieux] et aux haredim [ultra- orthodoxes]. Si cela avait été fait à temps, la crise aurait pu être évitée. »
Mais ce sont évidemment les scandales de corruption touchant le Premier ministre et ses deux fils (voir J.A.I. n° 2192) qui dominent cette fin de campagne électorale. Amram Mitzna les a stigmatisés d’une formule : « Sharon agit comme le parrain qui gouverne avec sa famille. » Sur les élections du 28 janvier, l’impact est difficile à prévoir. Dans un premier temps, selon les instituts de sondage, les intentions de vote en faveur du Likoud se sont dramatiquement effilochées, faisant tomber sa future représentation parlementaire de 41 sièges à 27, pour se stabiliser ensuite autour de 30… Le Parti travailliste, cependant, n’en aurait que peu profité, passant seulement de 22 à 24 sièges. Les principaux bénéficiaires de l’érosion du Likoud seraient les séfarades orthodoxes du Shas et les laïques radicaux du Shinoui. Reste qu’à près d’une semaine du scrutin, le tableau peut encore se modifier sensiblement dans un sens ou dans l’autre.
D’autant plus que, voulant un choix clair et passant outre aux hésitations de certains caciques du Labour, Mitzna s’est résolu, le 14 janvier, à prendre une décision volontiers qualifiée de « dramatique » car elle risque de déboucher sur une impasse politique : exclure, quels que soient les résultats du scrutin, toute formule d’union nationale avec le Likoud.

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