Sous le soleil de Ghardaïa

Joyau de l’architecture islamique, la cité millénaire du Sahara algérien mise sur le tourisme pour retrouver sa prospérité.

Publié le 21 janvier 2003 Lecture : 5 minutes.

La ville est déjà bien éveillée quand les premiers rayons du soleil illuminent le minaret planté au sommet de la colline. À Ghardaïa, la « Reine du désert », on s’agite quand il fait frais. Au mois d’août comme en décembre, l’astre omniprésent fait le malheur des peuples du désert algérien. Mais cette année, il a plu. Et les palmeraies de la vallée du Mzab regorgent de verdure. Dans le lit de la rivière de l’oasis perdu aux portes du Sahara, à 600 km au sud d’Alger, on peut voir un maigre filet d’eau, témoin de la bonne santé de la nappe phréatique, qui a permis à la vallée de prospérer.
Ghardaïa a 1 000 ans. Tout comme ses quatre soeurs qui forment aujourd’hui le pentapole du Mzab. Il n’y a pas si longtemps, el-Atteuf, Bounoura, Beni Izgen, Melika et Ghardaïa étaient cinq cités distinctes, héritages directs de l’architecture islamique du Moyen Âge, et, pour cela, inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco en 1982. Des lignes droites, des maisons basses agrippées aux collines de la vallée, du crépis coloré de terre sur les murs – garant de fraîcheur – et des petites ruelles qui protègent de la chaleur et des indiscrétions. Excepté les lignes électriques, les paraboles et les automobiles, on se croirait presque encore au temps de leur création. Beni Izgen, ville sainte, ferme même ses portes après la prière du soir. Les remparts des villes ont pourtant reculé trois fois, admettant chaque fois de nouveaux habitants dans leurs enceintes. Plus récemment, ce sont des entreprises qui ont installé là leurs centres de recherche. Et les bureaux ainsi que les habitations des employés ont poussé à la place des palmiers. L’urbanisation galopante des villes millénaires inquiète les environnementalistes. Sans compter que des constructions anarchiques nuisent à l’unité du riche patrimoine de ce Sud algérien. Quand on arrive de la route nationale 1, qui relie Tamanrasset à Alger, la vallée du Mzab surgit de nulle part. Quelques kilomètres avant de découvrir les palmiers de la vallée, ce ne sont que dunes de sable et roches rouges. Des usines ont été construites depuis les années soixante-dix, et le logo de la Sonatrach ou de ses filiales parade fièrement au milieu du désert et des tuyaux de gaz que les habitants construisent par milliers. À Metlili, à 20 km de Ghardaïa, on tente aujourd’hui d’ériger une ville nouvelle, mais les spécialistes sont sceptiques. Les vents de sable qui balaient le plateau désertique sont nombreux et il fait bien trop chaud en été et trop froid en hiver. Pour se protéger de la canicule, seules des ruelles enclavées comme celles de la vallée permettent de faire baisser la température en dessous de 40 °C, puisque même les climatiseurs tombent en panne.
La société mozabite a peu changé depuis son installation dans la région, au XIe siècle, à la suite des persécutions que ces populations berbères de rite kharidjite subissaient dans le Nord. Trouvant refuge dans les oasis du Sahara, les Mozabites sont devenus la plaque tournante du commerce entre l’Afrique sahélienne et le nord du Maghreb. Grâce à une hiérarchie très rigide et à une forte cohésion sociale, ils ont survécu dans des conditions naturelles très difficiles. Du coup, les Algériens du Nord disent la société mozabite « fermée », voire sectaire. Les 320 000 personnes qui la forment, eux, la disent solidaire. Les femmes sont effectivement contraintes à rester à l’intérieur, et si elles doivent sortir, c’est couvertes entièrement par un voile blanc… sauf un oeil. Les hommes sont eux aussi soumis à des contraintes fortes. Aux entrées des villes, un panneau « Interdit de fumer » donne le ton, sans parler du bannissement évident de l’alcool. Si, aujourd’hui, la simplicité et la sobriété des habitations peut faire penser à l’étranger de passage que la ville est pauvre, la civilisation qui est née là a beaucoup apporté à l’Algérie. « Il est fascinant de constater le nombre de cadres de l’administration ou de professeurs qui sont mozabites, constate un fonctionnaire. Sans parler de leur don pour le commerce. Ils sont très forts ! Les vieux du village, ils pourraient acheter votre quartier à eux seuls. » Mais, en ce nouveau siècle, la région souffre. Ghardaïa et ses voisines voient leurs fils et leurs filles partir vers les grandes villes du Nord et ne plus en revenir. Pour réussir à remonter la pente, la wilaya de Ghardaïa tente de relancer le tourisme, qui, plutôt florissant dans les années soixante-dix, s’est réduit comme une peau de chagrin comme dans tout le reste du pays. « Depuis deux ans, avance l’un des guides de l’hôtel d’État El Djanoubl, les touristes reviennent, surtout des Allemands, des Anglais, des Italiens, des Algériens du Nord aussi. Mais peu de Français. » Un tourisme plus important pourrait relancer les affaires de la vallée du Mzab, d’autant que les trésors qu’elle contient (comme ses peintures rupestres du paléolithique) valent bien ceux des pays voisins, le Maroc et la Tunisie. Mais, côté infrastructures, l’Algérie a encore un énorme effort à produire. Le grand hôtel « trois étoiles » de Ghardaïa possède certes 252 chambres et 8 suites, mais les lits sont durs comme du bois, et seules quelques gouttes d’eau peuvent permettre au voyageur de se rafraîchir après son long périple dans les dunes. Autre obstacle : il n’y a pas de vols directs des grandes capitales européennes jusqu’à l’aéroport de Noumerate, à une vingtaine de kilomètres de Ghardaïa. Il faut passer par Alger, et rares sont les tour-opérateurs qui organisent des séjours dans la région.
Sans tourisme de masse, Ghardaïa garde cependant son silence et sa plénitude. L’hôtel Mzab (anciennement appelé Les Rostémides) a déjà eu un effet néfaste sur la cité et les moeurs de ses habitants. Placé en haut d’une colline – c’est un ancien fort militaire -, l’hôtel domine les maisons de la ville. Il empêche donc les femmes de s’adonner à ce qu’elles ont toujours eu l’habitude de faire : se promener sur les terrasses, effectuer les tâches ménagères et rejoindre les maisons de leurs amies par les toits, sans devoir se couvrir. Mais l’ouverture aux étrangers, à laquelle Ghardaïa s’est longtemps refusé, est inévitable aujourd’hui. Surtout quand ils transportent des dollars dans leurs poches. Et l’on ne peut que souhaiter à tout un chacun d’avoir la chance de regarder le soleil se lever, comme tous les jours depuis mille ans, sur le minaret de Ghardaïa. Alors qu’il fait encore un peu frais.

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