Qui sauvera les Palestiniens ?

Publié le 21 janvier 2003 Lecture : 4 minutes.

Durant la prière de midi, ce vendredi, à Al-Azhar, des milliers de croyants égyptiens écoutèrent le sermon du cheikh de cette mosquée, la plus importante de l’islam. D’un ton mesuré, il parla du comportement de Dieu avec les « oppresseurs ». Puis, solennellement et sans excès, il fit appel à Lui pour secourir les Palestiniens. C’est alors que l’excitation commença.
Dès qu’il eut fini, quelqu’un jeta dans l’air à la volée des poignées de tracts politiques. Un jeune homme, porté sur les épaules de la foule, se mit à dénoncer la « tyrannie américaine ». Des centaines de fidèles le suivirent en chantant autour de la mosquée, tandis que la majorité silencieuse traînait les pieds. On aurait cru assister à deux services : le premier, officiel, puis l’autre, celui de la rue, avec le vrai défoulement. Mais, tandis que l’Amérique était stigmatisée, personne dans la foule ne clama son soutien à Saddam.
Cela concordait avec tout ce que j’entendis lors des douzaines d’interviews que je conduisis au Caire. La bonne nouvelle est que Saddam n’apparaît plus comme un héros populaire, et que bien des gens, semble-t-il, verraient sa chute avec plaisir. La mauvaise nouvelle est que George W. Bush et la politique américaine sont détestés plus encore.
Quand il envahit le Koweït en 1990, Saddam paraissait fort. Aujourd’hui, il semble être faible, sur la défensive et prêt à accepter tout ce qu’exigent de lui l’ONU et les États-Unis. Au début des années quatre-vingt-dix, Saddam profitait encore d’avoir, depuis longtemps, acheté des journalistes arabes pour chanter ses louanges. Ce choeur apparaît maintenant s’être tari dès lors qu’il n’est plus entretenu par des dons de Mercedes-Benz.
Au début de ces années quatre-vingt-dix, Saddam était encore vu comme le sabre des musulmans sunnites s’abattant sur les chiites d’Iran, et la plupart des Arabes se souciaient peu de la manière dont il maltraitait son propre peuple. Aujourd’hui, on en parle. Et finalement, l’agression du 11 septembre, venue de cette région, a fortifié ceux qui veulent discuter de la mal-gouvernance arabe.
Raymond Stock, un chercheur cairote en littérature, me confia qu’un ami arabe lui avait ainsi résumé cet état d’esprit : « L’Irak est comme un avion qui vient d’être piraté. Si des commandos américains peuvent le libérer sans porter atteinte aux passagers, presque tout le monde en sera soulagé. »
Pourquoi alors Bush est-il si détesté ? En partie parce qu’on a l’impression que le président et son équipe ont cessé de parler au monde. Ils se contentent de grogner contre lui. Mais le facteur le plus important est que cette équipe Bush paraît renoncer à tout effort pour résoudre le conflit israélo-palestinien, alors que les morts se multiplient.
Le refus de l’administration de manifester quelque imagination pour résoudre un conflit qu’elle minimise tout en qualifiant Sharon d’« homme de paix » a ulcéré l’opinion publique arabe, et cela pèse maintenant sur tout ce que fait l’Amérique. Une invasion de l’Irak est perçue comme une guerre pour protéger Israël, et la démocratisation comme un moyen de punir les Arabes.
Oui, les médias arabes ont entretenu pendant des années cette colère contre l’Amérique et Israël, et ils continuent de le faire : tous les régimes, les uns après les autres, ont exploité ce conflit à des fins politiques. Mais quand vous faites face, dans la résidence de l’ambassadeur américain, à trente brillants jeunes entrepreneurs égyptiens, la plupart formés aux États-Unis, et que ce problème est pratiquement le seul dont ils veulent parler, vous sentez qu’il doit y avoir quelque chose d’authentique dans la colère qu’ils éprouvent devant cette plaie ouverte. Jusqu’à ce qu’elle soit fermée, elle continuera de nourrir les « idées de destruction massive » qui stimuleront dans la région tous les mouvements antiaméricains radicaux.
En vérité, cette fureur contre la politique américaine est bien souvent un appel à l’aide de gens qui savent ce qu’ils ont à faire – démocratiser, libéraliser leurs économies – et savent que s’ils ne le font pas ils perdront cinquante années de plus, mais qui ne peuvent s’y résoudre parce que ces idées sont défendues par une puissance qu’ils sentent indifférente à leur plus profonde blessure.
Je ne parle pas de ce qui est vrai, de ce qui est juste ou même de ce qui est rationnel. Je parle de ce qui est. Et si l’Amérique l’ignore ou l’écarte comme une tromperie, elle n’engrangera jamais les évolutions positives qui pourraient découler d’un changement de régime en Irak.
Aux dires du dramaturge égyptien Ali Salem : « Nous avons un proverbe qui dit : « l’ivrogne doit être confié à l’homme sobre ». Vous êtes l’homme sobre. Ne l’oubliez pas. » © The New York Times et J.A./l’intelligent 2003. Tous droits réservés.

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