Péril en la demeure
La fin des combats intervenue au mois de mars 2002 a révélé une situation humanitaire particulièrement préoccupante.
Au lendemain de la signature de l’accord de paix du 4 avril 2002, les organisations humanitaires ont enfin pu se rendre dans des régions du pays qui leur étaient jusque-là interdites d’accès par les affrontements (80 % du territoire étaient fermés depuis 1998). Face à l’ampleur insoupçonnée de la catastrophe humanitaire touchant les « zones grises », les organisations non gouvernementales tentent depuis de parer au plus pressé.
Les chiffres sont simplement terrifiants. Selon l’évaluation faite par le Programme alimentaire mondial (PAM) en mai 2002, 3 millions d’Angolais subissent une grave pénurie alimentaire, et 600 000 d’entre eux sont directement menacés par la faim. Environ 4,6 millions de personnes ont été déplacées, dont 300 000 appartenant aux familles des ex-combattants de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita). Signe du douloureux déchirement connu par le pays en vingt-sept ans de guerre, l’émission quotidienne de télévision Nation Courage sert de tribune à des milliers de personnes qui viennent se signaler à l’écran dans l’espoir de reprendre contact avec leur famille, dont la guerre les a séparées.
Selon Médecins sans frontières (MSF), 14 000 personnes sont regroupées dans un véritable mouroir à Bunjei, au sud de Huambo, l’ancien fief de Savimbi. Une quinzaine de personnes y décèdent chaque jour en moyenne, principalement de malnutrition ou de rougeole. Le taux de mortalité n’est guère moins inquiétant à Chipindo, où on a enregistré le décès du tiers des 18 000 personnes regroupées. À cela il convient d’ajouter les désastreuses conditions de vie dans le camp de Chiteta, où sont cantonnés des ex-combattants de l’Unita et les membres de leurs familles. Le manque d’hygiène et de suivi médical y ont établi un macabre record : 2,3 personnes sur 10 000 meurent chaque jour. À titre indicatif, l’Organisation des Nations unies estime le seuil de gravité atteint à partir de 1 décès par jour pour 10 000 personnes.
Les individus cantonnés préfèrent, paradoxalement, rester dans les camps que regagner leurs villages cernés par des mines antipersonnel, où leurs habitations ont été brûlées et les infrastructures détruites. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha) estime toutefois à 850 000 le nombre de personnes déplacées ayant déjà regagné leur domicile. En dépit des appels à l’aide internationale lancés par le gouvernement et de la création d’un comité chargé d’assister les victimes de la guerre, l’assistance humanitaire reste encore largement tributaire des ONG présentes sur le terrain.
Les zones d’accueil sont alimentées en vivres par le PAM, qui éprouve d’énormes difficultés pour satisfaire la demande. Le centre de Mussende (province de Cuanza-Sul) a du mal à être approvisionné du fait de sa quasi-inaccessibilité par la route. Les centres situés près de Mavinga (province de Cuando-Cubango) reçoivent toutes les six semaines des vivres pouvant en couvrir seulement quatre. L’approvisionnement de celui de Xa-Muteba a même été suspendu pour quelques mois, à la suite de l’explosion, sur la route qui y mène, d’une mine qui a coûté la vie à six agents de MSF, en novembre 2002. Dans un pays où l’on dénombre 12 millions d’engins explosifs enfouis et plus de 50 000 victimes, de gros travaux de déminage restent encore à faire.
Même si les résultats sont encore peu perceptibles du fait de l’étendue du problème, l’État angolais ne baisse pas les bras. Selon João Baptista Kussumua, ministre de la Réinsertion sociale, « le gouvernement a mis en place un programme d’aide d’urgence pour un montant de 60 millions de dollars destinés à l’approvisionnement en produits alimentaires et biens de première nécessité des régions les plus touchées. Quinze millions de dollars ont déjà été débloqués à cette fin. » En guise de bilan, le ministre cite les 3 900 tonnes d’aliments et d’équipements distribués l’an dernier aux ex-combattants de l’Unita et à leurs familles. Une goutte d’eau dans un océan ? Ces gestes, qui n’ont pas sensiblement amélioré la situation de tous ceux qui souffrent, permettent tout de même à certains d’espérer des lendemains meilleurs.
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