L’islam encore au banc des accusés

Seul l’Occident a toujours oeuvré pour la paix. C’est du moins l’idée qui semble se dégager du forum de l’Académie universelle des cultures qui s’est tenu à Paris les 19 et 20 décembre dernier.

Publié le 21 janvier 2003 Lecture : 8 minutes.

Pour l’Académie universelle des cultures, dont le président fondateur est Elie Wiesel, prix Nobel de la paix, c’est maintenant une tradition que d’organiser chaque année un forum consacré à un thème qui préoccupe l’opinion. Le thème choisi pour décembre 2002 était « Imaginer la paix ». On ne pouvait choisir meilleur moment pour parler de paix. Il est inutile de dire pourquoi. La réponse est dans l’actualité.
Après l’allocution d’accueil prononcée par François Rivière au nom de l’Unesco, le forum, placé sous le haut patronage du président Jacques Chirac, fut inauguré par Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche, indice certain de l’intérêt que lui portent les plus hautes autorités en France. L’assistance était composée surtout de lycéens, plus de mille, et d’un nombre relativement réduit d’adultes qui, en raison de leurs fonctions ou de leurs motivations propres, s’intéressent à la paix. Les intervenants étaient presque tous des Européens, avec une nette prédominance française.
On ne présente pas Luc Ferry, un philosophe agnostique et humaniste, dont l’ouvrage, L’Homme-Dieu, fut un incontestable best-seller avec plus de 100 000 exemplaires vendus. Il mit en garde contre le terrorisme, « aujourd’hui organisé par des gens cultivés » – l’était-il auparavant par des idéologues imbéciles ? – et exposa les idées kantiennes sur la paix perpétuelle. Ces deux thèmes seront repris par la majorité des intervenants.
Tous les orateurs mirent l’accent, non seulement sur le désir, mais sur la véritable vocation de paix qui a toujours animé l’Occident, de la Genèse à nos jours. De la Pax romana à la Pax americana en cours, l’Occident, avec toutes ses composantes antiques et judéo-chrétiennes, a toujours cherché, nous dit-on, cherche toujours inlassablement la paix, rien que la paix. Pour l’Occident, nous dit le philosophe et romancier italien Umberto Eco, « le désir de paix est comme le désir d’immortalité », ardemment ressenti et inaccessible. Faute de paix générale, il nous conseille de limiter nos ambitions et de rechercher de « petites paix locales », autrement dit « cultiver son jardin ». C’est bien ! Mais il faudrait que monsieur Bush nous foute la paix, ce que personne n’ose dire.
L’helléniste et académicienne Jacqueline de Romilly nous assura que la Grèce chérissait la paix. Et alors nous vint à l’esprit cette interrogation : Alexandre le Grand, élève d’Aristote, sa figure emblématique, était-il un envahisseur ou un bâtisseur de paix avec les crânes des ennemis de la paix ? Les Grecs, nous dit Jacqueline de Romilly, avaient leur conception de la paix. Soit ! Elle nous l’exposa, et force nous est de constater qu’elle nourrit jusqu’à nos jours l’Occident. Le médiéviste Jacques Le Goff, par cassette vidéo interposée, avec force citations des Testaments, fit feu de tout bois pour nous prouver que le Moyen Âge occidental, nourri d’amour et de charité chrétienne, n’avait d’autre préoccupation que la paix. Nous renvoyons à l’Histoire. Le judaïsme, nous expliqua le poète et essayiste estonien Jaan Kaplinski, qui est aussi un arabisant, n’avait qu’un rêve : faire paître ensemble le loup et l’agneau. C’est un beau rêve, mais ce n’est qu’un rêve dont la réalisation est renvoyée à la fin des temps.
Nous ne pouvons tout citer. Retenons que l’idée qui se dégage de toutes les interventions est que l’Occident a toujours oeuvré pour la paix. Seul ? Il ne fut jamais question de la contribution d’aucune des autres cultures à la paix. Et si, en particulier, l’islam fut évoqué, ce fut, comme nous le verrons, pour être mis au banc des accusés. Seul Odon Vallet, universitaire et docteur en droit et en science des religions, fit un survol des autres cultures. On loua tout juste son érudition.

Roger-Pol Droit, philosophe aussi et chroniqueur bien connu du journal Le Monde, nous invita, lui, à nous interroger d’abord : « D’où vient la paix ? » Puis à inverser le modèle : « Et si l’on posait la guerre comme norme et la paix comme lâcheté, faiblesse et impuissance ? » Ce que certains ont fait. Alors la paix ne serait plus qu’un règlement des relations humaines par la Loi, une conséquence de la Loi. Et il aboutit à la conclusion : « Pourquoi ne pas faire ce qui n’a jamais été fait : imaginer la paix ? »
Pour la psychanalyste et écrivain Julia Kristeva aussi, la paix est une aspiration désespérée. Elle commença par évoquer le cri angoissé de Jérémie : « La paix, la paix, il n’y a pas de paix. » Puis elle se demanda à son tour : « Peut-on faire la paix ? » La paix, en effet, en elle-même, n’existerait pas ; elle ne serait qu’une hallucination, un discours imaginaire. Au commencement était la haine et la pulsion de mort, nous dit Freud. Les monothéismes ne font que nous enseigner une morale issue de la Bible qui culmine dans l’Amour chrétien, l’amour agape. Et elle constate : la paix est en crise à Gaza et à Jéricho ; à New York et à Paris.

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Venons-en maintenant à l’islam. C’est au très médiatique Daniel Sibony, psychanalyste et écrivain, que revint le rôle, dans le cadre de son exposé sur « les trois monothéismes et la paix entre les gens », de présenter à l’assistance le Coran, qu’il lit, nous affirme-t-il sans rire, dans son texte arabe, parce que, « né dans un ghetto » au Maroc, il n’eut comme langue maternelle que cet idiome, qu’il connaît, insiste-t-il, « très bien », à côté de l’hébreu, et, je cite, « un peu le français ». Daniel Sibony lit donc le Coran avec l’arabe de son « ghetto » marocain. Les arabisants savent ce que cela veut dire. Il commença par nous dire que les Arabes, en Palestine, habitaient, sans le savoir, un château hanté dont les propriétaires, provisoirement absents, n’avaient jamais cessé de penser y retourner. Sion, ce n’est pas nouveau. Plus de 600 occurrences dans la Bible. Lorsque les propriétaires revinrent donc, grande fut la surprise des Arabes, d’où la crise de paix actuelle. Quant au Coran, nous explique-t-il, c’est « une faille » qu’il faut situer dans ce qu’il appelle sa découverte de « l’entre-deux. » On y trouve des histoires empruntées à la Bible. Explosion d’applaudissements.
Le Coran de Sibony ne nous surprend pas. Il ne nous choque pas non plus. Le Coran n’est pas notre propriété. Chacun a le droit d’en faire sa propre lecture, même la plus fantaisiste, et Dieu sait s’il en existe. Nous avons aussi le droit d’en avoir notre propre lecture. Le Coran de Sibony est donc, à nos yeux de musulmans, l’une de ces innombrables distorsions qui, depuis saint Jean Damascène (v. 650-v. 749), en passant par Pierre le Vénérable (v. 1092-1156), et jusqu’au père actuel de la Mission, Antoine Moussali, et surtout le moine libanais Joseph Azzi, se succèdent et se ressemblent. Elles donnent aux Occidentaux l’illusion de nous connaître. Ils nous déplient leur Coran, et nous demandent de nous y glisser, comme dans un lit de Procuste. Peu leur importe qu’il n’est pas à notre mesure. Les Coran de Sibony et Cie sont pour nous comme les peintures de Picasso : elles ne reproduisent pas avec fidélité le modèle ; elles nous révèlent plutôt le peintre.
Le romancier, et ex-ministre espagnol de la Culture, Jorge Semprun, qu’il a fallu défendre contre les admirateurs demandeurs d’autographes, donna à son intervention le titre significatif de : « La paix contre le terrorisme ». Pour lui, contre l’opinion générale qui dominait le forum, l’événement n’est pas le 11 septembre. L’événement, il faut le situer en 1989, lorsque s’écroula le mur de Berlin. Nous ne pouvons qu’approuver. El-Qaïda ? C’est une création des États-Unis contre l’Union soviétique, devenue sans objet et encombrante avec la liquidation du communisme. C’est une évidence pour quiconque échappe à l’intox. Du terrorisme, il donna cette excellente définition : c’est une guerre détériorée où l’ennemi n’est plus visible mais diffus, une guerre qui se nourrit de l’anti-impérialisme de toujours. L’objectif de l’islamisme ? Détruire la civilisation occidentale dans laquelle il ne voit que dépravation des moeurs. Donc pas de paix de capitulation avec lui. Il fit référence à la capitulation devant le franquisme en 1930 et devant le nazisme en 1936. Seul Jorge Semprun évoqua l’existence d’un islam modéré. Son handicap est l’absence d’un domaine propre à César. Cet islam parviendra-t-il à s’adapter, « à se dissoudre dans la démocratie ? » Nous pensons que oui.
Tout compte fait, c’est aux Algériens que fut dévolu le rôle, peu honorable, de faire le réquisitoire le plus virulent et le plus haineux de l’islam, religion présentée comme celle de la violence, du viol et du meurtre des intellectuels, rien que ça, sans réserve, sans distinction et sans nuance, crimes dont est exempt l’Occident, exclusivement présenté comme bâtisseur de paix. Pour Mme Zazi Sadou, porte-parole du Rassemblement algérien des femmes démocrates, l’événement, c’est le 11 septembre, un événement, nous dit-elle, qui l’a bouleversée, traumatisée et meurtrie. Un seul regret : pourquoi le monde, se lamente- t-elle, n’a-t-il pas réagi avec la même indignation, la même détermination et la même vigueur contre les crimes du terrorisme islamiste en Algérie, contre « les dealers du paradis » – expression répétée plusieurs fois avec insistance et mépris -, ces drogués de l’islam, un islam qui fait le malheur de son pays. Sa comédie, comme au théâtre, fut accueillie par un tonnerre d’applaudissements. L’islam, c’est ce qui se dégage de son exposé, n’est que haine, violence, viol et assassinat. Pas un mot d’une contribution quelconque de l’islam à la paix, d’un islam de paix. Comme, à la sortie, je protestais, elle me lança : « Vous êtes l’un de ces intellectuels qui arment les meurtriers. »

Mon exposé avait pour sujet : « Choc ou dialogue des cultures ? » Il était à contre-courant. Manifestement, il déplut. Faute de temps, il fut stoppé à mi-chemin par Franz- Olivier Giesbert, directeur du Point, qui présidait la dernière session et qui fit l’éloge du président Bush, comparé à Lincoln et à Roosevelt. Un journaliste algérien m’apostropha du milieu de la salle : « L’islam tue les intellectuels ! »
Sur le chemin de l’hôtel, en compagnie de quelques amis, au cours de la conversation surgit l’idée de constituer une « Association musulmane pour la paix, la démocratie et les libertés ». Si l’idée se concrétise, ce sera pour nous, musulmans de conviction et de pratique, pour qui Dieu porte le beau nom de paix, Al-Salâm (Coran, LIX : 23), le seul résultat positif du forum.

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