Feuilleton vénézuélien
Entretenue à dessein par une partie de la presse indépendante, la rumeur de crise diplomatique entre Alger et Washington a provoqué un cinglant démenti de l’ambassade américaine.
L’affaire a débuté le dernier dimanche de l’année 2002, à 10 000 km d’Alger. Lors de son talk-show hebdomadaire, le président vénézuélien Hugo Chávez en butte depuis quatre semaines à une grève générale, dont le mot d’ordre a été lancé par le patronat et l’opposition de droite, annonce triomphalement que des experts pétroliers algériens sont attendus à Caracas pour faire redémarrer la production d’or noir, principale source de revenus du Trésor public, paralysée par les grévistes.
L’information aurait pu passer inaperçue si elle n’avait été reprise par les grandes agences de presse internationales. Quelques journaux indépendants algériens, connus pour leur hostilité au président Abdelaziz Bouteflika, s’en emparent et font état de l’irritation de l’administration américaine pour cette aide apportée au régime « honni » d’Hugo Chávez. Le ministre algérien de l’Énergie Chakib Khelil par ailleurs PDG du groupe pétrolier Sonatrach, tente de dépolitiser l’affaire. Le 4 janvier, il confirme la présence d’experts algériens à Caracas et la justifie par un contrat d’assistance entre la Sonatrach et Petróleos de Venezuela (PDVSA) signé deux ans auparavant. Cette précision ne met cependant pas fin à la campagne : deux quotidiens indépendants, Le Matin (francophone) et El Khabar (arabophone), s’illustrent, le 8 janvier, en titrant sur une convocation de l’ambassadeur d’Algérie à Washington, Idriss Djazaïri, par le département d’État. Le diplomate envoie un démenti que reprend Algérie Presse Service (APS, l’Agence officielle de presse), mais rien n’y fait, les médias multiplient les analyses et dissertent sur la fin d’une longue lune de miel entre Alger et Washington, qui a débuté avec l’arrivée de Bouteflika au palais d’El-Mouradia. Les spéculations tournent autour de la colère de l’administration Bush quant à la décision de Bouteflika de mettre à mal la volonté américaine de bouter Chávez hors du pouvoir au Venezuela, troisième fournisseur de pétrole des États-Unis.
L’affaire prend une nouvelle tournure quand, le 10 janvier, un attentat à la grenade cible la résidence de l’ambassadeur d’Algérie à Caracas, provoquant des dégâts matériels importants. Alger s’en émeut, et le gouvernement vénézuélien dénonce « l’attaque terroriste ».
Après une semaine de silence, Janet Sanderson, ambassadeur des États-Unis à Alger, rend public, le 12 janvier, un communiqué dans lequel elle dément, à son tour, la convocation d’Idriss Djazaïri par le département d’État. Elle dénonce, en outre, l’attentat de Caracas qui a ciblé la résidence de son homologue algérien. Mieux, elle balaie toutes les supputations concernant l’aide de la Sonatrach à PDVSA. Il s’agit, selon la diplomate, « d’une opération commerciale entre l’Algérie et le Venezuela », et d’ajouter : « La stabilité des prix du pétrole favorise la revitalisation de l’économie mondiale. » Janet Sanderson confirme au passage la satisfaction de Washington quant à l’évolution des relations, qu’il souhaite privilégiées, avec l’Algérie. Quelles leçons retenir de ce feuilleton ?
La première est que les Américains n’apprécient guère d’être impliqués, de quelque manière que ce soit, dans les affaires politiques intérieures d’un État tiers, fût-il un allié solide. D’autant que ce règlement de comptes interne au microcosme politico-médiatique intervient à la veille de la mission que s’apprêtait à effectuer dans la région James Baker, représentant spécial de Kofi Annan dans le dossier du Sahara occidental, mais surtout ancien secrétaire d’État. Une mission à laquelle Washington accorde une grande importance.
La deuxième leçon à retenir est que cette attaque en règle, qui n’est pas la première, contre le président Bouteflika vise surtout son ministre de l’Énergie, Chakib Khelil, à qui l’on reproche la rédaction d’un avant-projet de loi sur les hydrocarbures qui n’exclut pas une privatisation de la Sonatrach. Cette réforme avait soulevé un tollé au sein du syndicat des pétroliers affilié à l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA). Présenté comme un « ministre présidentiel », Chakib Khelil a été au centre d’une polémique qui est allée crescendo. Il a fini par faire marche arrière en retirant son texte des tablettes du Conseil des ministres avant son passage devant le Parlement. Mais le retrait n’a pas suffi aux pourfendeurs de Chakib Khelil. Beaucoup ont vu dans l’envoi d’experts algériens à Caracas « la bourde de trop ». Ils en ont été pour leurs frais. Avant même la mise au point de Janet Sanderson et au lendemain du retrait de l’avant-projet de loi sur les hydrocarbures, Khelil était à Washington pour répondre à une invitation d’opérateurs pétroliers américains. Il en a profité pour rassurer ses interlocuteurs sur les réformes économiques en cours. Ce discours a été perçu comme un SOS à l’adresse des partenaires étrangers pour qu’ils soutiennent de manière plus concrète la poursuite de la politique de libéralisation de l’économie algérienne que le président de la République veut mener au pas de charge durant la dernière année de son mandat.
Dernière leçon de l’affaire Bouteflika-Chávez : les clivages politiques ne sont plus ce qu’ils étaient en Algérie. Ce sont en effet les tenants des idées de gauche qui, pour mettre dans l’embarras le président Abdelaziz Bouteflika à cause de ses choix économiques jugés ultralibéraux, ont qualifié de « jaunes » (briseurs de grève) les experts algériens partis à la rescousse d’un régime pourtant révolutionnaire menacé par le patronat et la droite, et soutenu par les couches populaires.
Moralité du feuilleton diplomatique de ce début d’année : la cuisine interne algérienne ne se contente plus du marché local. Il lui arrive de déborder. Désormais, elle peut même se targuer de pouvoir traverser l’Atlantique.
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