Dis-moi quel est ton clan…

Composante essentielle de la société traditionnelle, les tribus ont toujours joué un rôle majeur dans le contrôle du pays. Et excellé dans l’art de la manoeuvre.

Publié le 21 janvier 2003 Lecture : 4 minutes.

envoyé spécial à Mossoul Le cheikh Talal Salim el-Khalidi, le corpulent chef de la tribu des Banou Khalid, arpente les terres de son fief des plaines de Mossoul. La boue qui suinte à ses pieds le met en joie : c’est un signe favorable, alors que se profile la menace d’une attaque américaine.
« Dieu est juste, déclare le cheikh, drapé dans un costume gris et une cape frangée d’or qui balaie le sol. Quand nous faisons face à l’oppression, Il nous offre quelque chose en compensation. »
Fortement religieuses, armées et nationalistes, les tribus irakiennes ont joué un rôle majeur dans le contrôle du pays sous les Ottomans, les Britanniques, la monarchie, et en particulier sous Saddam Hussein. Elles sont restées cet « électorat » indécis du Moyen-Orient, réputé, lors des guerres légendaires à travers la péninsule Arabique et au-delà, pour ses renversements d’alliance en plein coeur de la bataille.
Les tribus irakiennes font l’objet de toutes les attentions alors que l’administration Bush recherche un soutien pour l’aider à se débarrasser de Saddam Hussein. Le pays abrite 150 tribus d’importance, qui se divisent en 2 000 clans plus petits. La plus grande compte plus d’un million de personnes, la plus petite à peine quelques milliers. Elles divisent la société selon un axe qui ne recoupe pas celui qui sépare chiites, sunnites et Kurdes. Certaines comptent des membres de diverses confessions et même des chrétiens. Trente ou trente-cinq d’entre elles jouent un véritable rôle dans le contrôle de l’Irak.
La « solution tribale » a fonctionné en Afghanistan en 2001. Des paiements en liquide ont persuadé les chefs de lâcher les talibans. On a parlé de rétributions similaires en Irak, mais rares sont ceux qui s’attendent à ce que les choses soient aussi simples ici.
Saddam Hussein a assidûment courtisé les tribus à l’aide d’argent, d’armes, de voitures, d’écoles et autres récompenses pour s’assurer leur loyauté. Au même moment, ceux qui refusaient de faire des courbettes ou, pis, fomentaient des rébellions, ont été brutalement supprimés, leurs chefs exécutés, remplacés ou forcés à l’exil, leurs maisons détruites et leurs récoltes brûlées.
Des opposants réfugiés à Londres affirment que Saddam Hussein a demandé, il y a trois mois, aux chefs des tribus du Sud de promettre de ne pas réitérer les soulèvements de 1991 contre lui.
La question qui se pose aujourd’hui concernant les tribus est celle de savoir à quel point leur loyauté est solide. Elles pourraient devenir le cauchemar d’une force américaine débarquant en Irak, une armée patriotique de guérilla répartie sur tout le pays.
En écho à d’autres chefs de tribu, le cheikh Talal a demandé au dirigeant local du parti Baas à Mossoul des armes lourdes, comme des lance-roquettes, des canons antiaériens et antichars pour combattre les Américains, mais n’a pas encore reçu de réponse.
L’opposition irakienne de Londres prétend que c’est l’absence d’un soutien local clairement identifié qui retarde une intervention militaire américaine. Selon un opposant, les États-Unis font tout leur possible pour tenter de construire une sorte de coalition tribale, rencontrent des chefs dans les pays voisins pour les convaincre d’influencer leurs cousins irakiens. Les tribus les plus importantes d’Irak ont en effet des branches en Syrie, en Jordanie, en Arabie saoudite, au Koweït, dans d’autres États du Golfe et en Turquie.
L’expérience britannique durant la Première Guerre mondiale est une histoire édifiante, souvent citée en Irak ces derniers temps. S’attendant à un bon accueil de la part des tribus quand ils entrèrent en Irak pour en repousser les Ottomans, les Britanniques rencontrèrent un front hostile et uni qui causa la perte de dizaine de milliers de soldats.
Le parti Baas, arrivé au pouvoir en 1968 avec Saddam Hussein comme vice-président, décrivait les tribus comme un système dépassé et prônait plutôt la loyauté envers l’État et le président. Même l’usage des noms tribaux fut banni (autre explication possible de cette politique : masquer la prédominance du clan de Saddam Hussein, les Takritis, dans le gouvernement).
Les choses ont commencé à changer en 1980, quand le régime a eu besoin de soldats pour combattre l’Iran. Mais ce n’est qu’après que Bagdad eut perdu le contrôle de larges parties du territoire dans les années qui suivirent la guerre, en 1991, que Saddam s’appuya de nouveau sur les tribus. Il tendit la main aux chefs en leur confiant des zones à superviser, en échange d’une plus grande autonomie dans les affaires tribales.
Le cheikh Talal, qui affirme que sa tribu compte environ 100 000 hommes répartis sur le pays, est fier du rôle joué par les clans dans les années quatre-vingt-dix. Il a lui-même reçu une portion d’autoroute longue de 115 km à protéger pendant la nuit…
L’idée selon laquelle l’argent américain pourrait persuader les tribus les plus importantes de changer de camp fait sourire la plupart des chefs tribaux. Le cheikh Talal, lui, décrit une résistance éventuelle en termes religieux. « Nous protégeons le territoire de la nation et nous considérerions que tuer des Américains serait un djihad au service de Dieu s’ils venaient ici en agresseurs. Le Coran dit oeil pour oeil, dent pour dent, alors si on nous tue, nous tuerons. »
© The New York Times et J.A./l’intelligent 2003. Tous droits réservés.

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