De Ouagadougou à Bouaké

Publié le 21 janvier 2003 Lecture : 4 minutes.

Mardi 31 décembre, 8 h 30, Ouagadougou C’est parti. J’ai mon laissez-passer en poche et une voiture de location qui doit m’emmener jusqu’à la frontière avec la Côte d’Ivoire. La route est large et goudronnée. Nous croisons de rares voitures, des camions-citernes.

11 h 30 Des villages sénoufos avec leurs cases rondes à toit pointu à la savane ponctuée de rôniers, de cailcédrats et de baobabs, nous arrivons à Bobo Dioulasso. La route devient étroite, mais elle est en bon état. À Banfora, excellent poulet bicyclette à l’Hôtel de la Canne à sucre.

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15 heures Salut aux derniers douaniers burkinabè à Yendéré, puis 2 km de no man’s land. Soudain apparaît la rivière Léraba et le pont sur lequel j’ai rendez-vous. La voiture roule au pas. Voici le comité d’accueil : cinq soldats s’avancent vers nous, mais pour m’arrêter. Je suis debout, dos à la voiture. Deux types braquent leur kalachnikov sur moi, deux autres sont derrière. Je n’en mène pas large. Je parviens à expliquer qui je suis et pourquoi je suis là. Je sors mon téléphone pour appeller Tuo Fozié. Mes mains tremblent, mais j’essaie de paraître calme, je souris.
Ce coup de fil détend la situation. Fozié a un ascendant considérable. Le responsable du groupe, Bakari Benta Koné, et un autre gars montent dans ma voiture. Nous allons à Laléraba, où se trouve le chef de poste. Là, le camp est rudimentaire. On me fait asseoir avec courtoisie et je comprends que le chef Seïdou Coulibaly est absent, parti à Korhogo. Qu’à cela ne tienne, on va aller à sa rencontre. Mon chauffeur rebrousse chemin après qu’un jeune homme muni de gants de ski a noté son immatriculation. En effet, dans une semaine, il faudra revenir me chercher. Koné se met au volant d’un tas de tôle rouge. Souleymane, l’adjoint du chef, monte à sa droite, kalachnikov pointé vers le ciel par la vitre ouverte. Nous embarquons également une fille en jean usé, qui serre son sac et… un poulet sur ses genoux. La route est défoncée et, à chaque nid-de-poule, je me demande si l’on ne va pas perdre un morceau de la voiture…

16 heures : Ouangologoudou Des camions et des gens partout. Le marché regorge de denrées, les maquis sont ouverts mais pas le Kilimandjaro Night-Club, l’unique boîte de nuit du lieu, dont les propriétaires ont fui. Au poste, deux filles-soldats montent la garde, ravies de servir « la cause de la démocratie ». Un homme m’interpelle : « Je m’appelle Diarrassouba, 50 ans, vétérinaire. Je me suis engagé au MPCI parce que je refuse d’être un citoyen de seconde zone. Je préfère mourir. » Bon. Une chose est sûre : les combattants sont motivés. Par chance, nous trouvons dans son bureau le chef de poste de Laléraba, Seïdou Coulibaly. Par radio, il prend contact avec Tuo Fozié, qui valide un ordre de mission l’autorisant à repartir pour Bouaké. Grâce à un bout de tuyau d’arrosage, un homme siphonne un seau d’essence vers le réservoir de la voiture de Coulibaly, une japonaise climatisée. Le chauffeur porte des lunettes de soleil et des mitaines en cuir, l’homme à ses côtés tient un kalach’ à double chargeur. Le chef pose la sienne entre lui et moi et nous partons, warning allumés. La route est toujours aussi défoncée, c’est usant.

17 heures : Ferkessédougou Le chef du CO, Moussa Koné, est agressif. J’apprends qu’il y a eu un bombardement meurtrier près de Bouaké, et Koné est très remonté contre les Français. Il s’en prend aux journalistes « qui espionnent et racontent n’importe quoi ». Coulibaly me tire de ce mauvais pas en rappelant que Fozié nous attend à Bouaké. Moussa Koné examine l’ordre de mission et nous laisse partir, non sans m’avoir remis une lettre ouverte, destinée à clouer le bec aux dirigeants de l’industrie sucrière avec qui il se trouve en bisbille pour une affaire compliquée d’usine fermée. Ouf. Dehors, mon Thuraya sonne. Des nouvelles de Paris. Je fais un effort pour maîtriser ma voix : « Oui, tout va bien, je suis en sécurité, je suis sous bonne escorte. » Je joue la carte de la confiance, de toute façon, je n’ai pas le choix.
17 h 30 Petit détour par le village de Seïdou Coulibaly, où il vient offrir une demi-douzaine de boîtes de sardines à l’huile et les deux pintades qui ont obligeamment voyagé sous les pieds du type devant moi. Je salue son vieux père. Devant la maison, une jeune femme prépare le foutou dans une marmite. Le jour décline, je suis toujours un peu stressée.
20 heures : Tafiré Il fait nuit noire. La ville est très animée. Nous nous arrêtons dans un maquis. Seïdou Coulibaly achète trois baguettes de pain à l’épicerie d’en face. Nous embarquons une jolie nana, « ma cousine », dit-il.
22 h 30 : Katiola C’est la fête, il y a un monde fou, de la musique dans les maquis, des élégantes dans les rues et des jeunes qui lèvent le poing sur notre passage. La guerre ? Quelle guerre ? La route s’améliore.

23 heures : Bouaké, entrée nord, enfin. Nous longeons des dizaines de voitures démantibulées, l’atelier de réparation des véhicules en service, pour rejoindre Tuo Fozié dans son CO de l’école Saint-Jacques. Nous ne nous parlerons que brièvement, car c’est tout de même la soirée du réveillon et il me semble bien qu’une fort jolie personne l’attend dans sa voiture. Bonne année !

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