Décision capitale

La grâce accordée par le gouverneur de l’Illinois à 167 condamnés renforce le mouvement abolitionniste aux États-Unis.

Publié le 21 janvier 2003 Lecture : 3 minutes.

Un coup politique ? C’est certain. Il n’empêche que la décision, le 11 janvier, du gouverneur de l’Illinois, George Ryan, de commuer en peines de prison les condamnations à mort prononcées dans son État donne du grain à moudre aux opposants à la peine capitale aux États-Unis. Cent soixante-sept condamnés sont sortis des « couloirs de la mort » en ce début d’année 2003, graciés par le gouverneur républicain d’un État qui s’est rarement illustré par son progressisme. Trois d’entre eux ont même été innocentés et libérés sur-le-champ.
La décision de Ryan a ébranlé l’Amérique, et surtout les trente-huit États qui appliquent encore la peine capitale. Certains partisans de cette sanction n’ont pu s’empêcher de souligner que, son mandat arrivant à échéance, le gouverneur voulait marquer le coup pour faire oublier les affaires de corruption auxquelles il a été mêlé. Pourtant, l’annonce est symbolique d’un débat qui fait rage, depuis maintenant deux ans, au pays de l’oncle Sam. Au-delà de considérations morales (qui avaient amené la France à l’abolir en 1981), les juristes américains tentent d’apporter des preuves empiriques de l’iniquité de cette peine.
En moins d’une décennie, l’opinion sur la peine de mort a d’ailleurs sensiblement évolué aux États-Unis. Entre 65 % et 70 % des Américains la soutiennent, contre 80 % en 1994. La raison essentielle de ce changement tient au travail de plusieurs professeurs et aux décisions de quelques juges qui ont tenté de montrer que le système judiciaire américain contient des lacunes (mauvais avocats, pratiques policières douteuses) pouvant amener des innocents à recevoir l’injection létale – pratiquée dans la plupart des cas aujourd’hui. Significative est la baisse du nombre de condamnations à mort. En 2002, 71 personnes ont été exécutées, contre 155 en 2001 et 304 en 1998. Depuis 1976, les États-Unis ont exécuté au total 820 personnes.
En 2000, James Liebman, professeur à l’Université Columbia, publie un long rapport, intitulé « A Broken System », dans lequel il démontre que la peine de mort peut être appliquée à des innocents. Entre 1976 et 1995, 68 % des condamnés à mort qui ont fait appel ont obtenu gain de cause, surtout en raison d’erreurs d’enquête et de procédure. En janvier 2000, George Ryan, pourtant connu pour ses opinions en faveur de la peine de mort, décrète un moratoire dans son État après avoir constaté une aberration : entre 1977 et 2000, 13 condamnés à mort avaient été innocentés en Illinois tandis que 12 prisonniers seulement avaient été exécutés. Le gouverneur du Maryland décide d’en faire autant peu après. Dans ce contexte, la Cour suprême commence également à remettre en cause certaines pratiques abusives des tribunaux. En juin 2002, elle juge anticonstitutionnelle la peine de mort pour les handicapés mentaux et empêche des magistrats de rendre ce verdict. Seul un jury populaire y est autorisé.
Pourtant, rien ne laisse espérer que la peine capitale sera bannie aux États-Unis. Ses partisans font à nouveau entendre leurs voix, par le truchement notamment d’un professeur à la New York Law School, Robert Blecker, qui apparaît comme le vilain petit canard au sein d’une communauté universitaire traditionnellement opposée à la peine capitale. Point par point, Blecker réfute les arguments de ses collègues en soulignant, chiffres à l’appui, que la peine de mort peut sauver des vies. Dans les États où elle est appliquée, les crimes violents sont moins nombreux. Rejetant l’argument « racial » selon lequel un criminel noir a plus de chances de recevoir la peine capitale qu’un Blanc (43 % des condamnés à mort sont des Noirs), Blecker affirme que ce sont les victimes noires qui pâtissent du système : un criminel est plus facilement condamné à mort s’il a tué un Blanc qu’un Noir.
Du côté de la classe politique, le consensus est quasi total en faveur de la sentence suprême. Aucun responsable n’aurait pour le moment le courage de prendre l’abolition pour cheval de bataille, face à une opinion majoritairement favorable à ce que les pères de la nation, en 1776, ont admis comme nécessaire dans la société américaine. Ce n’est certainement pas George Bush, ancien gouverneur du Texas, l’État qui a exécuté en 2002 la moitié des condamnés à mort des États-Unis, qui le fera.
C’est toutefois sans compter sur la pression internationale : même si on prouve qu’elle est « efficace », la peine de mort est un acte barbare. Nelson Mandela, le Conseil de l’Europe, les organisations de défense des droits de l’homme ont applaudi de concert la conversion de George Ryan, espérant qu’elle fera des émules.

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