3 questions à… Christian Poiret

Sociologue, maître de conférences à l’université Rennes II et auteur de Familles africaines en France (L’Harmattan).

Publié le 19 décembre 2005 Lecture : 2 minutes.

Jeune Afrique/L’intelligent : Comment les Français perçoivent-ils la polygamie ?
Christian Poiret : Les médias et les politiques la considèrent avec une curiosité malsaine, nourrie de vieux fantasmes coloniaux, le harem, par exemple. Quand ils cherchent une explication facile à un dysfonctionnement social, ils n’hésitent pas à piocher dans ce stock de stéréotypes. Les travailleurs sociaux peuvent avoir, eux aussi, une vision fantasmatique, mais qui repose sur une approche professionnelle. Leur attitude consiste le plus souvent à surveiller étroitement les familles polygames. Bref, le discours est souvent soit stigmatisant, soit misérabiliste. Alors qu’il faudrait simplement se demander comment la polygamie a pu se perpétuer en France.
J.A.I. : Quelle est votre explication ?
C.P. : Il faut remonter dans le temps. En 1976, après avoir suspendu l’immigration de travail, Valéry Giscard d’Estaing autorise le regroupement familial. Le premier choc pétrolier vient de plonger la France dans la récession. Les travailleurs immigrés non qualifiés de la vallée du fleuve Sénégal s’installent durablement dans une société française en crise, qui les marginalise. Se sentant isolés, ils réinterprètent les valeurs traditionnelles de leurs sociétés d’origine. Au Sénégal ou au Mali, la plupart n’auraient pas pu pratiquer la polygamie, pour des raisons économiques. En France, leur condition de salariés le leur a permis. La polygamie telle qu’elle se pratique ici est une production de la société française.
J.A.I. : Certains voient dans la polygamie l’une des causes de la délinquance, de l’échec scolaire et du chômage…
C.P. : La polygamie produit un effet de loupe sur des problèmes qui ne sont pas spécifiques à ces familles, comme celui du logement. Il n’y a guère de problèmes auxquels les familles polygames sont confrontées qui ne puissent se rencontrer dans des familles monogames. Mais la polygamie tend à exacerber les difficultés. En ce qui concerne le pacte républicain, il faut croire que la polygamie n’a pas toujours été jugée incompatible avec lui, puisqu’elle a été autorisée à Mayotte, cette « collectivité départementale » française, jusqu’en 2003. Invoquer la stabilité de la République pour stigmatiser ces familles est hypocrite. Reste un problème de principe : la polygamie est fondamentalement inégalitaire. Mais les premières victimes sont celles et ceux qui la vivent, ce n’est pas la République. Et c’est avec eux, et non pas contre eux, qu’il faudra trouver des solutions.

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