Pacifier les Grands Lacs

Armand De Decker, ministre de la Coopération au développement, multiplie les actions sur le terrain.

Publié le 19 décembre 2005 Lecture : 6 minutes.

Si certains ont perçu la nomination d’Armand De Decker au poste de ministre de la Coopération au développement en juillet 2004, après cinq années à la tête du Sénat, comme un cadeau empoisonné, l’avocat a depuis fait taire ses détracteurs. Un an et demi après son entrée en fonctions, il a élargi son spectre d’influence en reprenant un grand nombre des dossiers autrefois dévolus au ministre des Affaires étrangères Louis Michel, passé à la Commission européenne et remplacé au gouvernement par Karel De Gucht.
De Decker est aujourd’hui le grand artisan de la politique africaine du royaume. Fin politicien, il déploie toute son énergie pour mener à bien la transition politique en République démocratique du Congo. Une tâche difficile pour laquelle il bénéficie du soutien de la communauté internationale. Il entretient, en revanche, des relations plus délicates avec certaines ONG belges. Il est récemment entré en conflit avec l’une d’entre elles en portant plainte devant la justice pour faire interdire un spot publicitaire destiné à recueillir des fonds auprès du grand public. Le ministre reproche à ce film de laisser entendre que la Belgique rechigne à aider les pays en développement. Une hérésie pour l’homme de la Rue des Petits-Carmes – siège de la « coop » -, qui réaffirme que la Belgique est le sixième plus important bailleur de fonds au monde par tête d’habitant et le onzième en chiffres absolus. Le royaume consacre cette année 0,45 % de son revenu national à l’aide au développement, principalement en Afrique. Treize des dix-huit pays partenaires de la Coopération belge se situent sur le continent.

Jeune Afrique/L’intelligent : Vous venez d’effectuer deux tournées dans la région des Grands Lacs à quinze jours d’intervalle. Quel est le climat actuel alors que l’on prépare une élection présidentielle en RDC, dont le bon déroulement est fondamental pour la stabilité de la région ?
Armand De Decker : Le processus est sur de bons rails. Le recensement électoral est un véritable succès. Plus de 23 millions d’électeurs se sont déjà inscrits sur les listes. Le taux de recensement est très élevé, notamment dans les deux provinces du Kivu et en Ituri. La loi électorale a été déposée devant le Parlement fin novembre. Elle est actuellement examinée par les commissions des deux Chambres. Celles-ci la voteront après le référendum constitutionnel du 18 décembre. Le calendrier électoral devrait donc être respecté. Le scrutin se tiendra au deuxième trimestre 2006. Il faut que les Congolais franchissent ce pas pour qu’une nouvelle RDC puisse émerger.
J.A.I. : Certains ont appelé au boycottage ou au report du scrutin…
A.D.D. : J’ai rencontré tous les grands acteurs politiques du Congo lors de mes missions. Tous les partis souhaitent aujourd’hui participer au scrutin, même l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) d’Étienne Tshisekedi, autrefois réticente. Mais il reste bien sûr de nombreuses forces négatives, conservatrices, qui craignent le renouveau.
J.A.I. : Vous être particulièrement optimiste. Mais le territoire n’est pas encore entièrement pacifié, notamment à l’est du pays…
A.D.D. : La réorganisation de l’armée progresse chaque jour. Six brigades ont été mises sur pied grâce aux efforts de la Belgique, de l’Afrique du Sud et de l’Angola. Nous avons également commencé la formation des futurs formateurs des troupes congolaises. À la veille de l’élection, en mars prochain, 12 brigades au moins devraient être opérationnelles sur les 18 prévues à terme. Avec l’appui des forces de la Monuc, cela sera suffisant pour sécuriser le déroulement du scrutin.
J.A.I. : Et si le verdict des urnes est par la suite contesté…
A.D.D. : Personne ne pourra le contester. Nous allons déployer beaucoup d’observateurs dans toutes les régions du pays pour que le processus soit le plus transparent possible. Le rapport des forces est également en train de s’inverser. Nous avons déjà formé 12 000 soldats qui disposeront d’équipements modernes, de quoi faire réfléchir ceux qui seraient tentés par la rébellion.
J.A.I. : Ne craignez-vous pas que la bataille politique à laquelle se livrent les partis vienne gripper le processus électoral ?
A.D.D. : C’est à la fois rassurant et inquiétant, le jeu politique est en train de prendre le dessus. Les acteurs sont dans l’entonnoir électoral. Les 200 partis actuels vont devoir se regrouper pour composer une quinzaine de formations. On est actuellement en phase d’intenses tractations, qui peuvent aboutir à des trahisons. Les députés sont actuellement plus sur le terrain qu’au Parlement pour mobiliser leurs troupes. Ce qui est aussi très rassurant car le jeu démocratique s’installe véritablement dans ce pays.
J.A.I. : Cela entraîne une hausse vertigineuse des dépenses de l’État, les différents acteurs ayant besoin de financer leur campagne…
A.D.D. : Les dépenses de fonctionnement du gouvernement ont effectivement plus que doublé. Il y a des risques que la corruption se développe. Mais nous sommes vigilants et tenons à ce que les fonctionnaires, particulièrement les soldats que nous formons, soient payés. Nous le rappelons régulièrement aux autorités.
J.A.I. : On accuse la Belgique de soutenir Kabila plus que les autres candidats ?
A.D.D. : C’est faux. Nous faisons tout pour que les Congolais choisissent le plus librement possible leur prochain président. Personnellement, j’entretiens d’excellents rapports avec tous les acteurs politiques. Actuellement, le président Kabila, le vice-président Azarias Ruberwa et le président de l’Assemblée nationale Olivier Kamitatu sont ceux qui évoquent le plus l’avenir et le nécessaire développement économique de leur pays. Les autres parlent essentiellement de politique, preuve que l’on est entré dans la dernière ligne droite. Quoi qu’il advienne, les élections ne sont pas une fin en soi mais un commencement. La communauté internationale travaille déjà sur l’après-élection. Nous préparons des plans de développement pour aider le futur gouvernement à remettre en état un grand nombre de services. La population est impatiente et attend beaucoup. On devra rapidement réhabiliter les voiries, les bacs, les infrastructures portuaires et améliorer les systèmes juridique, sanitaire et éducatif pour que les Congolais palpent rapidement les progrès. Cela demande des moyens très conséquents que les bailleurs de fonds sont prêts à débloquer si le processus électoral se déroule correctement.
J.A.I. : Le ministre des Affaires étrangères Karel De Gucht, avec lequel vous avez eu des rapports difficiles, semble favoriser la coopération avec les pays les plus dynamiques du continent, l’Afrique du Sud et les États du Maghreb…
A.D.D. : Nous sommes sur la même longueur d’ondes. Il n’y a pas deux politiques africaines de la Belgique, même si nous avons un style différent. Récemment, nous avons procédé à la nomination de neuf attachés de coopération francophones pour rééquilibrer nos équipes sur le terrain, qui comptaient plus de Flamands. L’Afrique du Sud et les pays du Maghreb font partie des 18 pays que nous soutenons sur le continent africain.
J.A.I. : Les Flamands sont réticents à l’idée de faire des efforts financiers pour les pays du Sud…
A.D.D. : Les Flamands ont une sensibilité moins forte en matière de développement mais pas au point de bloquer les choses. Dans chacun de leurs partis, on trouve des responsables qui ont la volonté de faire avancer la coopération. La Belgique a prévu d’augmenter fortement son aide publique au développement, qui devrait atteindre 0,7 % de notre Produit intérieur brut en 2010. En 2006, mon budget passera de 800 à 900 millions d’euros pour une aide totale d’environ 1,4 milliard d’euros, soit 0,5 % de notre PIB. Une part de l’opinion publique flamande aimerait certainement que l’on consacre notre argent à d’autres priorités. Mais ce point de vue pourrait évoluer avec la pression migratoire qui s’exerce sur les pays européens. Chacun comprendra vite qu’il faut donner un avenir aux jeunes Africains sur leur propre continent.
J.A.I. : Certains parlent également de la régionalisation de la coopération…
A.D.D. : L’aide est fédérale à 95 %. Le débat sur une plus forte régionalisation n’a pas évolué depuis quatre ans. Les ONG, la société civile, nos partenaires européens sont inquiets à l’idée de morceler la politique belge de développement. Je suis intervenu publiquement pour réaffirmer notre politique au Parlement, en accord avec Karel De Gucht. J’ai, par ailleurs, proposé la mise en place d’un conseil fédéral de la coopération au développement qui rassemblerait tous les acteurs pour assurer une meilleure cohérence de notre politique.

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