Opération mains propres

Fidel Castro mobilise des dizaines de milliers de personnes pour lutter contre la corruption et utiliser au mieux les ressources du pays.

Publié le 19 décembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Dans sa lutte à mort contre les pots-de-vin, le chapardage et les « nouveaux riches », Fidel Castro a entrepris de mobiliser des dizaines de milliers de jeunes Cubains et menace d’infliger à des fonctionnaires corrompus une humiliation de type Révolution culturelle. Cette campagne entre dans le cadre des efforts déployés pour utiliser au mieux les ressources dont dispose actuellement Cuba grâce à la générosité vénézuélienne en matière de pétrole et au paiement de l’aide médicale fournie à Caracas, ainsi qu’aux lignes de crédit ouvertes par les Chinois pour son développement.
La première cible de la campagne – baptisée « Opération 26 juillet » en souvenir du maquis de la Sierra Maestra dans les années 1950 – a été le système de distribution d’essence. Des milliers de jeunes en âge de fin d’études ont commencé à gérer des stations-service, à travailler dans les raffineries et à conduire des camions-citernes pour reprendre en main un secteur où, selon les documents du premier mois de l’opération, plus de la moitié du précieux liquide était volée.
Cuba a enregistré l’an dernier le premier excédent de sa balance des paiements depuis 1989, et compte sur un nouvel excédent cette année, malgré une augmentation des importations de plus de 30 %. « Nous devons retrouver une situation où l’État paiera un salaire permettant de satisfaire les besoins fondamentaux et qui soit fonction de l’apport de chacun à la société », déclare Anicia Garcia, directrice du Centre d’études économiques de l’université de La Havane. Elle rappelle que les traitements des fonctionnaires et les retraites ont augmenté de plus de 20 % cette année, et que l’on trouve de plus en plus de biens de consommation, surtout des appareils ménagers importés, et des produits alimentaires. « Nous profitons, dit-elle, de l’amélioration de la situation pour régler les problèmes sociaux qui sont apparus lors de la crise provoquée par la fin de l’Union soviétique. Par exemple, le fait qu’on était mieux payé lorsqu’on ne travaillait pas, ou qu’un groom ou un pompiste gagnait plus qu’un neurochirurgien. »
Le Parti communiste a lancé, il y a deux ans, une offensive contre « la corruption et les illégalités » qui régnaient dans le parti et dans l’administration au moment où il recentralisait l’activité économique et le contrôle des devises fortes après les « erreurs libérales » des années 1990. La corruption bureaucratique et le marché noir ne sont pas des nouveautés dans des économies étatiques comme celle de Cuba, mais Castro a déclaré récemment que des réformes orientées vers le marché, comme la décentralisation, l’autorisation de créer de petites entreprises et la circulation du dollar parallèlement au peso, parmi d’autres mesures d’urgence prises après l’effondrement du communisme en Europe de l’Est, « aggravaient le mal au point qu’il avait pris un caractère massif… et que l’inégalité s’était renforcée ». Castro a indiqué qu’il ferait appel à 26 000 jeunes travailleurs sociaux pour mener le combat d’une société plus pure et que, s’il le fallait, il mobiliserait plus de 100 000 travailleurs sociaux et étudiants. Il a même menacé de dénoncer publiquement les fonctionnaires corrompus.
Oscar Espinosa, un économiste récemment remis en liberté après avoir été jeté en prison pour ses activités dissidentes, estime que la campagne actuelle ne fera que renforcer la misère et les activités illégales. « Ce dont nous avons besoin, dit-il, c’est d’une économie de marché, comme en Chine ou au Vietnam. En revenant à l’économie centralisée et à la répression, on ne fait que jeter de l’huile sur le feu. » Raul Castro, ministre de la Défense et numéro deux de la hiérarchie cubaine après son aîné Fidel, aurait déclaré, il y a dix-huit mois, à des cadres du parti : « Nous ne nous débarrasserons jamais de la corruption, mais il ne faut pas qu’elle dépasse nos chevilles et s’élève jusqu’à notre cou. » Il semble cependant qu’on n’ait guère fait de progrès depuis, et les militaires ont été obligés, en septembre, de prendre les choses en main pour décharger les produits d’importation et arrêter les pillages des ouvriers du port et des camionneurs.
« Dans cette bataille contre le vice, a affirmé récemment Fidel, prenant le relais de son frère, personne ne sera épargné. Ou bien nous coupons court à toutes les déviations, et nous ferons triompher notre révolution, ou c’en sera fini de celle-ci. » Il a accusé les « nouveaux riches » d’être responsables des inégalités sociales existant dans l’île, sans autre précision que de dire qu’ils avaient accès aux devises fortes. Les travailleurs sociaux organisent des cellules dans les quartiers pour lutter contre la corruption et les illégalités, comme dans les années 1950. « C’est une campagne à la Mao », estime un banquier étranger.
Les jeunes se sont également attaqués aux boulangeries afin de calculer combien de pain il faudrait pour assurer l’approvisionnement des quartiers et organiser ensuite les livraisons de farine. Viendront ensuite, dit-on, les pharmacies, les bureaux de change et les restaurants. Des cars chargés de jeunes armés de blocs-notes et d’ampoules consommant moins d’électricité ont fait leur apparition dans certains quartiers. Ils ont pour mission de faire des économies d’énergie avec d’importantes augmentations des tarifs. Ils distribuent des ampoules en faisant un relevé des installations électriques des logements, qu’ils classent en riches, normaux et pauvres, faisant craindre à certains de se retrouver classés comme « nouveaux riches ».

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