Ombres et lumière

Avec un PIB de 104 milliards de dollars, la nation Arc-en-Ciel est le leader incontesté du continent. Mais tout n’est pas rose pour autant.

Publié le 19 décembre 2005 Lecture : 5 minutes.

« Locomotive du continent. » Combien de fois a-t-on appliqué la métaphore à l’Afrique du Sud ! Tentant, car avec un PIB de 104 milliards de dollars, la nation Arc-en-Ciel crée plus du quart des richesses de l’Afrique. Premier producteur mondial d’or, cinquième pour le diamant et sixième pour le charbon, elle permet à un continent que l’on dit souvent à la dérive de caracoler en tête de quelques palmarès internationaux. Des firmes mondialement connues – le géant minier De Beers, les enseignes de distribution Bidvest, ou Shoprite – y sont nées et s’imposent dans le jeu de la mondialisation. D’autres s’y sont implantées, comme le laboratoire pharmaceutique Pfizer, les constructeurs automobiles Ford, Toyota et BMW, contribuant à consacrer l’importance de ce pays de 45 millions d’habitants.
Prospère, l’Afrique du Sud ? Oui, mais non sans quelques ombres au tableau : une espérance de vie de 46,5 ans susceptible de tomber à 38,5 ans dans dix ans, en raison du sida qui touche 11 % de la population, et 1 personne sur 5 parmi les 15-49 ans ; un chômage parfaitement inégalitaire qui frappe officiellement 31,6 % des Noirs et 5,1 % des Blancs, sans compter les travailleurs de l’économie informelle ; des flux d’investissements directs en baisse en 2002, 2003 et 2004. La locomotive sud-africaine ne roule donc pas à si vive allure… mais elle revient de loin.
Il y a tout juste onze ans, au sortir de l’apartheid, l’économie est en déclin, « à bout de souffle », selon les termes de Jean-Pierre Cling, ancien conseiller économique à l’ambassade de France. Entre 1960 et 1993, le taux de croissance ne cesse de baisser, pour devenir négatif entre 1990 et 1993. En 2004, il est de 3,7 %. Les prévisions pour 2005 tablent sur 4,1 %. C’est dire le chemin parcouru.
Aujourd’hui, les grands indicateurs invitent à l’optimisme. La dette extérieure, qui ne représente pas plus de 20 % du PIB, est considérée comme faible. Le déficit budgétaire est raisonnable, ramené à 1,5 % du PIB au cours de l’année fiscale 2004-2005. L’inflation est maîtrisée, stabilisée dans une fourchette comprise entre 3 % et 6 % depuis septembre 2003.
Des résultats positifs qui ont conduit le ministre des Finances, Trevor Manuel, à proposer, en février dernier, un budget 2005-2006 ambitieux (165 milliards de rands, soit 21 milliards d’euros, d’investissements publics). Un projet qui fait la part belle aux dépenses d’infrastructures, et pour cause : preuve de la reconnaissance internationale, le pays, encore au ban des nations il y a quinze ans, accueillera la Coupe du monde de football en 2010. C’est à cette date, et ce n’est pas un hasard, que la liaison ferroviaire entre Pretoria et Johannesburg doit être mise en service.
Mais l’économie se ressent encore de l’apartheid. La plupart des Noirs s’étant vu interdire l’accès à une formation de qualité pendant près d’un siècle, ils constituent une main-d’oeuvre peu qualifiée. Et la « tertiarisation » allant s’accentuant, le niveau de compétence exigé est de plus en plus élevé. Résultat : près de 50 % des Noirs sont au chômage, ou dans le secteur informel. « L’économie est prise dans un paradoxe, résume Jean-Pierre Cling. Elle fonctionne sur des secteurs qualifiés alors que la main-d’oeuvre ne l’est pas. » En résultent des aberrations : Geraldine Fraser-Moleketi, la ministre du Service public et de l’Administration, a annoncé récemment le recrutement de cadres indiens pour faire face à la pénurie de matière grise dont souffrent l’éducation, la santé et l’ingénierie. Dans un pays où le taux de chômage officiel est de 26,5 % ! Certes, un plan de développement des qualifications est engagé, financé par une taxe de 1 % sur les salaires. Il y a aussi le « Black Economic Empowerment », qui vise à insérer les Noirs dans la sphère économique : dans ce cadre, en novembre, De Beers a cédé 26 % de ses activités en Afrique du Sud à un groupe d’actionnaires noirs. Impensable dans les années 1990. Deux programmes dont on tarde cependant à cueillir les fruits.
L’image ségrégationniste de l’Afrique du Sud continue de lui coller à la peau. « Le pays est sorti de l’apartheid il y a un peu plus de dix ans seulement, c’est court pour rétablir la confiance », note un observateur sur place. Voilà qui explique en partie la faiblesse des investissements directs étrangers (IDE). Après un pic en 2001 à 7 milliards de dollars, ils sont revenus au niveau de la seconde moitié de la décennie 1990, de 1,5 milliard de dollars par an en moyenne, soit seulement 1,1 % du PIB. Cette année, la prise de contrôle de 60 % d’Absa, la première banque de détail du pays, par le britannique Barclays, pour un montant total de plus de 4 milliards d’euros, est l’exception qui confirme la règle. « C’est l’arbre qui cache la forêt », analyse Jean-Pierre Cling.
Première explication, la main-d’oeuvre sud-africaine est plus chère que son homologue chinoise, notamment en raison des lourdes charges qui pèsent sur les employeurs pour financer les programmes sociaux. Deuxièmement, même si le pays est un point de pénétration du continent pour les entreprises étrangères, le marché sud-africain est limité : les consommateurs ne sont pas plus de 16 millions (la population active). Et les pays voisins (Namibie, Botswana, Zimbabwe, Mozambique) ne sont guère attractifs. Enfin, l’insécurité n’est pas pour arranger les choses, et a dissuadé plus d’un investisseur. Les touristes, eux, n’en ont cure. En 2003, le pays a accueilli 6,5 millions de visiteurs étrangers et, en 2002, alors que la tendance générale est au repli dans le climat anxiogène de l’après-11 Septembre, la fréquentation fait un bond de 11,1 %. La stratégie offensive de l’État a payé : désormais, le tourisme pèse plus dans le PIB (7,1 %) que le secteur minier (6,6 %), longtemps prépondérant.
Favorisés par le cours élevé du rand, les groupes sud-africains sont en revanche bien implantés sur le continent. À Antananarivo, l’enseigne française de distribution Champion a symboliquement cédé la place au sud-africain Shoprite, également présent au Cameroun et au Nigeria. Et la liste des groupes sud-africains présents sur le continent est longue, de la téléphonie mobile (MTN) à la grande distribution (Pick’n Pay), en passant par la banque (Stanbic). La nation Arc-en-Ciel est aussi un bailleur de fonds régional. Preuve en a été donnée en octobre, quand le pays a décidé d’allouer 140 millions de rands (18,3 millions de dollars) à la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et au Programme alimentaire mondial (PAM) pour leurs actions en Afrique australe. Avec le rôle de médiateur qu’a tenu le président Thabo Mbeki dans la crise ivoirienne, la patrie de Mandela a en outre gagné en rayonnement diplomatique. Il n’y a désormais plus aucun doute : même haletante, l’Afrique du Sud est une clé de voûte, à tout le moins à l’échelle du continent. Un premier pas.

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