Mission princière

Neveu du roi, Al Walid Ibn Talal Ibn Abdelaziz consacre une partie de son immense fortune à la réconciliation de l’Orient et de l’Occident.

Publié le 19 décembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Quand il est de passage à Paris, le prince descend toujours au George-V. Normal : le palace lui appartient. La fortune d’Al Walid Ibn Talal Ibn Abdelaziz – la cinquième du monde – s’élève aujourd’hui à 21,5 milliards de dollars. Elle comprend d’importantes participations dans des groupes comme Citigroup, News Corp, EuroDisney, Hewlett-Packard ou Time Warner.
Petit-fils d’Abdelaziz Al Saoud, le fondateur de l’Arabie saoudite moderne, et de Ryad as-Sohl, le premier chef de gouvernement du Liban indépendant, Al Walid, 50 ans, est un fils de famille aux allures de self-made man. Le « Warren Buffett saoudien » a gagné son surnom en achetant pour 800 millions de dollars un gros paquet d’actions de la Citicorp. Lesquelles valent aujourd’hui 10 milliards ! Mais le prince ne se contente pas d’être riche. Il se sent investi d’une mission divine : rapprocher l’Orient et l’Occident.
Pendant que je patiente dans le hall du George-V, il bavarde avec ses amis Richard Parsons, le patron de Time Warner, et Sandy Weill, celui de Citigroup. Après quoi, il se met à prier. Lorsque l’on me conduit à sa table, je découvre que le dîner n’aura rien d’un tête-à-tête. Il me faut un moment pour le repérer – moustache, chevelure drue et taille de danseur – au milieu d’un essaim de collaborateurs. Remarquant ma surprise, Mike Jensen, son banquier, plaisante : « Rassurez-vous, vous ne devrez pas payer pour tout le monde ! » « Seulement pour trois personnes », précise Al Walid. Pourquoi trois ? Je l’avais informé que mon journal l’invitait à dîner. Lui, et lui seul… « Je prendrai ma salade habituelle », fait-il savoir au serveur.
Le prince a choisi de prolonger le jeûne du ramadan, six jours durant. Cela ne le gêne guère : il mange rarement pendant la journée. Dans un anglais fluide appris dans un collège californien, il m’explique : « J’ai pesé jusqu’à 89 kg. Maintenant, je n’en fais plus que 60. Ni spaghetti, ni pain, ni beurre, ni viande. » Il s’astreint à ce régime depuis quinze ans, même s’il lui arrive de se restaurer en dehors de son unique repas quotidien. Aujourd’hui, il a rompu le jeûne bien avant l’heure. Une collation est prévue vers 2 heures du matin.
Lorsque sa salade arrive, il l’ignore, préférant s’étendre sur sa mission. « Grâce à Dieu, j’ai beaucoup d’argent, rappelle-t-il. Après le 11 Septembre, un fossé s’est creusé entre l’Arabie saoudite et les États-Unis, entre la chrétienté et l’islam. J’estime de mon devoir de contribuer à le combler. » Il s’apprête donc à financer la création de départements d’études islamiques dans deux universités américaines, Harvard et Georgetown.
Reste que la plus médiatisée de ses initiatives s’est soldée par un cuisant échec. Après les attentats du 11 septembre 2001, Al Walid a fait don de 10 millions de dollars à la ville de New York. En appelant le gouvernement américain à « adopter une position plus équilibrée à l’égard de la cause palestinienne ». Résultat : Rudolph Giuliani, le maire de New York (à l’époque), lui a retourné son chèque en l’accusant de justifier les attentats. Dans un journal saoudien, le prince dénoncera par la suite les « pressions juives » à l’origine de ce refus.
Regrette-t-il ses déclarations sur la Palestine ? « Je suis l’ami des États-Unis. Et un ami se doit de dire la vérité. Pourtant, même si la question palestinienne avait été résolue le 10 septembre 2001, les attentats auraient sans doute eu lieu le lendemain. Mais regardez mes amis : Richard Parsons est chrétien, Sandy Weill est juif israélien, peu m’importe ! »
Au regard des normes saoudiennes, le prince est un « libéral ». Pense-t-il que son oncle, le roi Abdallah, puisse faire avancer son pays sur la voie de la démocratie ? « Vous employez le mot « démocratie ». Je dirais plutôt « participation du peuple au processus politique ». Il me semble que les dernières élections municipales laissent augurer la tenue d’un scrutin pour l’élection des membres de la Choura, notre Parlement. »
Je me risque à évoquer les opposants au régime.
« De quels opposants parlez-vous ?
– Des adversaires de la monarchie.
– D’où tenez-vous vos informations ?
– Des journaux.
– La plupart des Saoudiens soutiennent le gouvernement. Je ne vois qu’un seul opposant : Saad al-Fagih, qui vit à Londres. Un, sur 16 millions de Saoudiens et 6 millions d’expatriés. »
Je me garde bien de citer le nom d’un autre dissident célèbre, un certain Oussama Ben Laden…
Le prince investit-il dans les médias occidentaux pour contribuer à dissiper les malentendus entre l’Orient et l’Occident ? « Non, jure-t-il, je ne cherche pas à influer sur la politique des États-Unis. » Puis il tempère son propos : « Lorsque je rencontre Murdoch, le patron de News Corp [FoxNews, BskyB], ou Parsons, qui contrôle CNN, Fortune et America Online, je ne m’immisce pas dans leurs affaires. Je leur donne mon avis sur ce que j’estime être des erreurs. Après, c’est à eux de décider. »
Un exemple ? « Lorsque CNN a parlé d’actes « terroristes » commis par les Palestiniens, j’ai conseillé à la direction de rendre également compte de ce que les Israéliens leur font subir. Ce qu’elle a fait, à la fureur des autorités israéliennes. Je ne prétends pas avoir un droit d’intrusion, je fais de mon mieux pour peser sur le cours des choses. »
Lorsque le président français apparaît sur l’écran de la télévision, Al Walid monte le son. Il connaît bien Jacques Chirac, comme la plupart des grands de ce monde. Privilège de la fortune… Je l’interroge : l’argent fait-il le bonheur ? « Seulement si vous le distribuez. Après le tsunami et le tremblement de terre au Pakistan, c’est moi qui, à titre individuel, ai fait le don le plus important. »
Nous commandons les cafés, le sien arrive en premier. Il insiste pour me le donner et poursuit : « Une autre chose me motive : reprendre une affaire à bout de souffle et la faire redécoller. » Ce fut le cas de Citigroup, « qui était à genoux lorsque j’y ai investi et qui est devenu la première banque du monde ». Et du George-V : « Je l’ai acheté, fermé et rénové. Depuis cinq ans, c’est le meilleur hôtel du monde. »
Lorsque je remercie Al Wahid de m’avoir accordé un peu de son temps, il me répond qu’il est temps de régler l’addition. Il me propose de s’en charger, je refuse. Le régime alimentaire du prince étant ce qu’il est, le montant de la note est raisonnable. Je prends congé et laisse le prince à sa mission.

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