[Tribune] Égypte : 100 millions d’habitants et des défis en cascade

L’Égypte a passé le cap des 100 millions d’habitants en février 2020. Bonne ou mauvaise nouvelle ?

Vue du Caire. © dalbera via VisualHunt.com /  CC BY

Vue du Caire. © dalbera via VisualHunt.com / CC BY

Anne Goujon
  • Anne Goujon

    Directrice de recherche au Wittgenstein Centre for Demography and Global Human Capital, Vienne (Autriche)

Publié le 28 février 2020 Lecture : 3 minutes.

Côté positif, on peut y voir un solide potentiel de croissance économique et d’innovation, comme cela a été le cas pour les Tigres asiatiques, dont la Thaïlande et la Malaisie.

En effet, dans la mesure où plus de 60 % de la population se situe dans le groupe d’âge des 15-64 ans, le rapport de dépendance démographique est plutôt favorable : 100 personnes en âge de travailler ont seulement à leur charge 53 enfants de moins de 15 ans et 9 seniors de plus de 65 ans. Par ailleurs, la grande majorité de cette population en âge de travailler a reçu une éducation au-delà de l’enseignement obligatoire, à hauteur de 63 % pour les hommes et de 55 % pour les femmes.

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Fécondité importante

Toutefois, il est difficile d’ignorer le versant négatif de cette forte croissance démographique, qui représente un défi de taille pour le développement durable du pays. Un essor dû en grande partie à la difficulté d’infléchir la fécondité. De 3,5 enfants par femme au début du millénaire, le taux de fécondité est passé à 3,1 enfants en 2002-2005 et à 3 en 2005-2008, avant d’augmenter à nouveau pour retrouver le même niveau qu’au début du siècle (3,5 enfants) en 2011-2014.

Même si les dernières estimations du Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap) semblent indiquer une nouvelle baisse, il n’en reste pas moins que la fécondité moyenne des femmes était encore de 3,1 enfants en 2018. Cette évolution va de pair avec des changements dans la structure de la fécondité, en particulier pour 2014, où le pic de la courbe s’est déplacé vers le groupe d’âge des 20-24, au lieu de la catégorie suivante. Ce phénomène s’est ajouté à une augmentation des mariages précoces – avec encore de nombreuses unions célébrées chez les jeunes filles de moins de 19 ans.

Seulement 23 % pour les femmes de plus de 15 étaient actives en 2020

Si cela semble être au premier plan un défi démographique et sociétal – il est vrai que les Égyptiens, tous niveaux d’éducation confondus, ont encore trois enfants comme idéal de descendance –, il faut regarder attentivement du côté de la faible participation des femmes sur le marché du travail pour trouver l’une des raisons majeures à ce maintien d’une fécondité élevée. Si 73 % des hommes de plus de 15 ans étaient actifs en 2019, selon les chiffres de la Banque mondiale, ce taux était de seulement 23 % pour les femmes, alors qu’elles sont de plus en plus nombreuses à bénéficier d’une éducation supérieure. Plusieurs facteurs expliquent cette participation très faible (l’Égypte se situe au 172e rang mondial).

Perte de valeur des diplômes

D’une part, le sous-emploi touche particulièrement les catégories les plus instruites, qui ont pendant longtemps bénéficié de la sécurité de l’emploi au sein du secteur public. Or, sous le régime Moubarak, l’économie a été libéralisée, et le secteur public a perdu sa capacité d’absorption des plus diplômés. D’autre part, beaucoup de femmes ont continué à se diriger vers des formations plus traditionnelles telles que l’enseignement, les lettres et les sciences sociales, plutôt que vers des filières plus spécialisées et adaptées aux besoins du secteur privé. Et le secteur informel s’est grandement développé pendant la période de crise qui a suivi le Printemps arabe.

Le gouvernement est passé à l’action à la fin de 2019 avec la campagne « deux enfants est assez »

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Il est possible que ce repli des femmes soit temporaire. Arrivées fraîchement diplômées sur le marché du travail, elles buteraient sur le manque d’opportunités et décideraient de se marier et d’avoir des enfants, reportant leur entrée sur le marché du travail à des jours meilleurs. In fine, elles ne mettraient pas au monde plus d’enfants que leurs mères, elles le feraient selon une temporalité différente. Mais, s’il s’agit au contraire d’un phénomène de long terme, les conséquences, à la fois démographiques et économiques, pourraient être importantes.

Sans trancher cette question, le gouvernement est passé à l’action. à la fin de 2019, il a lancé la campagne « deux [enfants] est assez », augmentant de manière substantielle les fonds attribués à la planification familiale avec le soutien d’organisations internationales. Ce programme ne semble cependant pas suffisamment encourager et développer la participation des femmes à l’économie, un point qui sera pourtant clé face à l’augmentation de la population à venir : on comptera sans doute 150 millions d’Égyptiens en 2050.

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Cela risque de placer l’Égypte face à son plus grand défi, celui de l’environnement et de l’approvisionnement en eau, dans un pays où environ 90 % de la population vit sur les 5 % des terres situées autour du Nil et du delta, les 95 % du territoire restants étant désertiques.

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