Le royaume dans tous ses éclats

Le pouvoir fédéral ne cesse de s’effriter et les élections d’octobre 2006 pourraient modifier en profondeur la situation des Belges d’origine africaine.

Publié le 19 décembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Les voitures n’ont pas brûlé, les cités ne se sont pas embrasées, les jeunes ne se sont pas rebellés… Deux mois après le déclenchement des émeutes dans les banlieues françaises, la Belgique tient à se démarquer de son voisin. Le royaume a, lui aussi, un passé colonial lourd, et d’importantes communautés maghrébines et subsahariennes vivent sur son sol. « Nous ne traitons pas nos immigrés de la même manière. En France, les quartiers ghettos sont relégués à la périphérie des villes. Ici, les étrangers vivent au sein même des grands centres urbains. La mixité facilite l’intégration », explique Jean-Louis Herzeele, commissaire de police à Bruxelles.
La Belgique compte quelque 900 000 étrangers et un peu plus de 10 millions d’habitants. Les communautés marocaine, turque et congolaise sont très présentes dans les grandes villes, comme Anvers, Bruxelles ou Liège. Nombre de ces ressortissants ont acquis la nationalité belge à la naissance, en se mariant ou après un certain nombre d’années passées sur le territoire. Ils constituent un électorat non négligeable. Pour glaner ces voix dites ethniques, les partis politiques ont largement intégré les fils et filles de l’immigration dans leurs états-majors. Et ils savent les en remercier en leur attribuant des responsabilités : parmi les ministres des trois gouvernements (fédéral, régional et communautaire), on trouve Gisèle Mandaila, la secrétaire fédérale aux Familles, d’origine congolaise, la « Marocaine » Fadila Laanan, ministre de la Culture à la communauté francophone, et le « Turc » Emir Kir, secrétaire d’État aux Monuments et à la Propreté publique de la région bruxelloise. La tendance est encore plus soutenue dans les municipalités, où l’on compte nombre d’élus d’origine étrangère. Le mouvement pourrait s’accentuer dans l’avenir, avec le droit de vote accordé aux étrangers pour les élections municipales et les régulières vagues de régularisation de sans-papiers.
Tout cela donne bien des arguments aux nationalistes du Vlaams Belang (« Intérêt flamand »), qui s’érige en protecteur des valeurs et des droits des Belges. Par l’intermédiaire d’orateurs politiques de grand talent, comme Philip Dewinter, le parti véhicule des idées simples et des slogans démagogiques. En témoignent les thèmes de sa dernière campagne : « Hospitalier, mais pas fou » et « La Flandre n’est pas le CPAS [l’assistance publique] de la terre ». Des messages qui s’adressent également aux autorités, accusées de ne pas lutter efficacement contre l’immigration clandestine. Chaque mois, environ 150 ressortissants de la République démocratique du Congo (RDC) entreraient illégalement dans le pays, qui offre une législation progressiste en matière de logement, d’emploi et de sécurité pour les non-nationaux. Ces idées font leur chemin dans l’esprit de bien des habitants de la région flamande. Les Flamands, qui représentent 58 % des Belges et assurent 80 % des exportations du pays, souhaitent défendre leur identité culturelle, voire devenir indépendants et, d’ici là, imposer aux francophones leurs vues sur le fonctionnement de l’État. Le Vlaams Belang représente déjà le tiers de l’électorat d’Anvers, la première ville flamande.
Les dirigeants des partis politiques traditionnels sont d’autant plus impuissants à imposer leurs idées face à la montée de l’extrême droite que l’élargissement de l’Europe, l’immigration et la mondialisation malmènent de plus en plus la souveraineté nationale. Après des années passées à la tête de l’État, le Parti démocrate-chrétien a perdu le pouvoir en 1997 au profit d’une alliance composée de socialistes et de libéraux. Ce curieux attelage, dont chaque décision doit faire l’objet de compromis, essaie tant bien que mal de restaurer la confiance dans les institutions et de résoudre les problèmes les plus cruciaux des citoyens par la recherche d’un large consensus. Mais il connaît les plus grandes difficultés à imposer un programme clair et ambitieux alors que le pouvoir fédéral s’érode au fil des ans. Sous le poids de leurs partis politiques, les régions et les communautés ont gagné beaucoup d’autonomie : l’économie, l’éducation et la police font déjà en totalité (ou presque) partie de leurs attributions. Elles poussent pour obtenir la sécurité sociale, les transports et la justice. Si ces compétences fédérales sont cédées progressivement aux régions, l’État ne ressemblera bientôt plus qu’à une coquille vide, ce qui rendra inévitable la transition vers une confédération. Quel en sera l’impact sur la politique africaine de la Belgique en cours de redynamisation et sur le traitement de ses communautés ?
Même si les immigrés ne vivent pas en marge de la société, même s’ils participent à la vie publique, même s’ils jouissent d’un régime social favorable, leurs avantages pourraient en souffrir. « Les Africains n’accèdent que très difficilement à la fonction publique. La police les contrôle de manière intempestive et, dès le plus jeune âge, ils sont orientés vers les études techniques », explique Emmanuel Binamu Nganga, président de la Ligue des familles congolaises, dont le siège est installé à Anvers. Si le Vlaams Belang prend le pouvoir de la ville en 2006, la discrimination à l’embauche, le désoeuvrement des jeunes, la déliquescence des quartiers précarisés, les phénomènes d’exclusion pourraient progresser. Le parti menace publiquement de n’attribuer les logements sociaux et les aides familiales qu’aux néerlandophones et de réduire le budget des associations. Son leader, Philip Dewinter, attise les peurs en laissant croire que les étrangers seront majoritaires en 2025 : « Ne faisons pas d’Anvers un deuxième Manchester ! » Installée en Flandres à partir du milieu des années 1980 à la faveur de la politique encourageant la répartition des demandeurs d’emploi sur tout le territoire, la communauté africaine prie pour que ce scénario ne se réalise pas. Les bars, commerces et salons de beauté de Coninc Plein (place), lieu de rencontre des Subsahariens, et de Borgerhout (quartier des Marocains) bruissent de leurs craintes.

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