[Tribune] Cameroun : le procès des militaires de Zelevet, une occasion de mettre fin à l’impunité
Le verdict dans le procès de sept militaires camerounais accusés d’avoir exécuté deux femmes et deux enfants a été reporté une nouvelle fois. Mais cette procédure envoie tout de même le message clair que nul n’est au-dessus de la loi.
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Tity Agbahey
Tity Agbahey est chargée de campagne pour l’Afrique centrale à Amnesty International.
Publié le 21 février 2020 Lecture : 4 minutes.
Il aura fallu attendre quatre ans après les faits pour que s’ouvre au Cameroun un procès inédit. En août 2019, pour la première fois depuis le début en 2014 de la lutte que mènent les forces de sécurité contre le groupe armé Boko Haram dans la région de l’Extrême-Nord, des militaires sont tenus de rendre des comptes. Ils sont sept, accusés de « coaction d’assassinats, violation de consigne et complicité des mêmes faits » à comparaitre devant un tribunal militaire.
Vidéo insoutenable
Alors que le verdict était attendu lundi 17 février, le tribunal militaire l’a renvoyé au 2 mars prochain. À l’origine de ce procès, une vidéo devenue virale, analysée par Amnesty International dont le contenu est insoutenable : les faits se passent à Zelevet, un village situé dans le département du Mayo-Tsanaga, dans la région d’Extrême-Nord du Cameroun en proie aux attaques du groupe armé Boko Haram depuis 2014.
Un groupe de femmes marchent quelques instants sous les ordres de soldats armés puis ces derniers les forcent à s’agenouiller avant de les exécuter froidement de plusieurs balles. Deux femmes et deux enfants, dont un bébé.
Même si de tels crimes contre des civils devraient être jugés devant les tribunaux civils et non militaires, ce procès inédit est la conséquence de la révélation de faits extrêmement graves ; graves mais pas isolés.
Depuis le début de l’insurrection de Boko Haram au Cameroun, la lutte que mènent les forces de défense camerounaises contre le groupe armé est émaillée de sérieuses infractions au droit international humanitaire et de violations de droits humains perpétrées par les forces de sécurité.
D’une extrême violence, l’opération a entraîné la mort de huit personnes dont un enfant
Les premières années surtout, ont été difficiles pour la population de la région d’Extrême-Nord qui s’est retrouvée à maintes occasions prise entre les attaques de Boko Haram et les violations d’une armée utilisant parfois les mêmes méthodes que le groupe contre lequel elle était censée protéger la population.
Les habitants de Magdémé et Doublé, deux villages du département de Mayo-Sava, région d’Extrême-Nord en ont payé le prix fort. Au petit matin du 27 décembre 2014, l’armée, la police et la gendarmerie mènent une opération conjointe de ratissage dans ces deux villages. D’une extrême violence, l’opération a entraîné la mort de huit personnes dont un enfant, l’incendie de plus de 70 bâtiments, le vol et la destruction de plusieurs biens.
Récit de survivants
Les forces de défense arrêtent ce jour-là plus de 200 hommes et garçons, sans aucune base légale, sur de simples suspicions d’accointances avec Boko Haram parfois liées au fait de leur appartenance au groupe ethnique kanouri – auquel appartiennent aussi les fondateurs du groupe armé – , sans aucune preuve et en violation flagrante de toute règle procédurale basique.
Les hommes sont malmenés et forcés à se déshabiller ; puis entassés comme du bétail dans un camion et conduits à la légion de gendarmerie de Maroua, la principale ville de l’Extrême-Nord, à plus de 70km de leurs villages et enfermés dans deux cellules sans eau ni nourriture.
Les plaintes, les cris et les supplications des détenus n’y changeront rien. Ils passent la nuit dans une chaleur terrible, s’écroulant d’épuisement les uns après les autres, certains buvant leur propre sueur dans une terrible lutte pour la survie.
Les premières lueurs du jour révèlent l’horreur de la nuit, le bilan est terrible : de récit de survivants, seuls une vingtaine d’hommes sur la centaine entassée dans la première cellule ont survécu à la nuit. Bilan similaire dans la cellule voisine.
Envoyer un message
Comme dans l’affaire de la vidéo ayant mené au procès des sept militaires, le gouvernement camerounais a d’abord crié à l’affabulation avant d’admettre qu’au moins 25 hommes étaient morts en garde à vue le soir même de leur arrestation à Magdémé et Doublé, sans révéler leurs identités ou leurs lieux de sépulture, tandis que 45 autres avaient été conduits et enregistrés à la prison de Maroua le lendemain. 130 hommes et jeunes garçons sont toujours portés disparus, comme évaporés depuis ce jour de décembre 2014 dans la torpeur qui caractérise la période de fin d’année et ses célébrations.
Les victimes de Magdémé et Doublé, elles, attendent toujours de voir un procès s’ouvrir. En 2015, un décret présidentiel a révoqué le colonel Charles Zé Onguéné, qui était à la tête de la gendarmerie dans l’Extrême-Nord au moment des faits.
Ce procès très suivi est aussi un message fort envoyé aux populations de la région de l’Extrême Nord
Bien qu’une enquête ait été ouverte, et que le colonel Zé Onguéné ait été inculpé de négligence et d’infraction à la législation relative à la détention, à ce jour personne ne connait l’état d’avancement de la procédure contre lui. En mars 2019, il a été nommé conseiller au ministère de la Défense. Un énième signe de l’impunité dont bénéficient les membres des forces de sécurité au Cameroun.
Le procès des militaires de Zelevet est inédit car, enfin, il envoie le message nécessaire aux soldats que nul n’est au-dessus de la loi, et surtout pas ceux qui sont censés la faire respecter.
Alors que les attaques de Boko Haram ont repris au cours de l’année 2019 après une relative accalmie l’année précédente, ce procès très suivi est aussi un message fort envoyé aux populations de la région de l’Extrême Nord, que parfois, l’État est de leur côté. Quelle que soit l’issue de ce procès, ce message doit demeurer et être suivi d’actions.
A Maroua, les 45 personnes victimes de l’opération de ratissage du 27 décembre 2014 et qui étaient en détention ont été relâchées en juillet 2017. Pour toutes les autres, reste le silence assourdissant de l’État camerounais et, pour les familles des 130 disparus, cinq ans après les faits, un deuil impossible.
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