[Tribune] Vous avez dit séparatisme islamiste ?
En évoquant le « séparatisme islamiste », le président français Emmanuel Macron emprunte implicitement les éléments de langage des intégristes et de l’extrême droite. Un processus d’« essentialisation » que dénonce l’historien Kamel Meziti.
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Kamel Meziti
Historien, spécialiste de l’islam, auteur notamment du « Dictionnaire de l’islamophobie » (Bayard) et de « Mission Djihad » (Les Points sur les I).
Publié le 28 février 2020 Lecture : 2 minutes.
Il y a quelques années, j’évoquais dans un ouvrage l’axiome des 3I (islam = invasion + immigration + insécurité), promu par une certaine classe politico-médiatique pour justifier une libération de la parole haineuse à l’endroit d’une composante de la nation française.
Aujourd’hui, les termes « communautarisme », « repli identitaire », « intégrisme », « radicalisation » ou « terrorisme » sont corrélés à la deuxième religion de l’Hexagone ou à ses adeptes. Ce glissement sémantique et lexical vient d’être consacré par le président Emmanuel Macron à la faveur de son nouveau plan de lutte contre le « séparatisme islamiste ». L’action du gouvernement viserait ces « islamistes » qui dictent leur loi dans les quartiers et qui font passer la charia au-dessus des lois de la République.
Cinquième colonne
Dévoilé à Bourtzwiller, l’un des 47 quartiers de reconquête républicaine (QRR), ce plan prévoit la suppression de l’accueil des imams détachés, le contrôle renforcé du financement des mosquées, la fin des enseignements de langue et culture d’origine… Cela annonce le passage d’un islam consulaire à une gestion postcoloniale de l’islam de France qui met à mal le principe de laïcité et de neutralité de l’État.
Personne ne niera l’existence d’une minorité nourrissant des volontés sécessionnistes, qui entravent le vivre-ensemble et rejettent les règles républicaines. Personne ne contestera l’urgence d’endiguer le phénomène mortifère de la radicalisation. Mais pourquoi se focaliser de façon systémique sur l’exception pour en faire une généralité ? Que dire de l’immense majorité de ces 6 millions de Français musulmans qui n’aspirent qu’à vivre leur foi sereinement sous la République ?
On appelle ce processus « essentialisation », lequel renvoie à la caricature et à la globalisation. Avec ce nouveau gadget lexical de « séparatisme », les musulmans deviennent des thuriféraires de la ségrégation, des agents conspirateurs, une cinquième colonne d’un État dont ils sont citoyens (à part entière ou entièrement à part ?), avec des désirs de conquête, voire d’islamisation du pays.
Implicitement, Emmanuel Macron emprunte les éléments de langage des intégristes et de l’extrême droite avec l’ambition d’endiguer un repli communautaire qu’il risque de facto de promouvoir. Pis, il prend le risque d’envoyer un message détestable à ces quartiers oubliés, où le taux de chômage frôle des records, où les services publics sont absents, où les dealers sévissent… Où l’espoir s’est envolé pour des millions de citoyens.
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