1000 jours de guerre

Quels que soient les résultats des élections législatives du 15 décembre, ils n’effaceront pas ce qui s’est passé depuis le 20 mars 2003. Les chiffres sont accablants.

Publié le 19 décembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Dans son numéro du 13 décembre, le quotidien britannique The Independent dresse le bilan de mille jours de guerre en Irak – depuis l’invasion du 20 mars 2003. Elle a été, et reste, the strangest war, « la plus étrange des guerres », dit dans son texte de présentation Patrick Cockburn, qui multiplie les allers et retours entre Londres et Bagdad. Un montage de chiffres avérés et bien choisis – reproduits dans le tableau ci-contre – témoigne, en effet, que, pendant ces trois années, les absurdités n’ont pas manqué : du zéro pour le nombre d’armes de destruction massive laissées par Saddam Hussein aux 18 000 soldats américains tués et blessés, dont 94 % depuis la chute de Bagdad. Tout indique d’ailleurs que le scrutin du 15 décembre, à l’issue duquel ont été élus les 275 membres du nouveau Parlement, n’aura pas valeur de cessez-le-feu.
Dès le départ, l’entreprise irakienne s’est embarquée dans l’irrationnel. La guerre du Golfe de 1991 avait deux objectifs précis et limités : chasser Saddam Hussein du Koweït et rétablir le statu quo ante. En outre, le président George H. Bush (le père) avait pris grand soin d’organiser une coalition internationale sous l’égide des Nations unies. Et il a su ne pas aller trop loin. Tout au contraire, son fils a affiché son mépris de l’ONU et joué à fond la carte de l’unilatéralisme, avec, pour l’essentiel, le seul appui du Royaume-Uni, comme s’il voulait avant tout faire la preuve de la toute-puissance militaire et politique des États-Unis.
La nouvelle administration Bush n’a pas davantage cherché à se faire des alliés chez les Irakiens. Elle a immédiatement renvoyé dans leurs foyers tous les cadres militaires et politiques de l’ancien régime et installé dans le pays ce que Cockburn appelle « un régime colonial ». « Les Irakiens, souligne-t-il, ont été marginalisés, et leur opinion a été ignorée. Des hommes et des femmes qui avaient fait des études supérieures et parlaient plusieurs langues se sont retrouvés sous les ordres de jeunes Américains dont la seule qualification était d’être liés au parti républicain. »
Cette coupure entre l’occupant et la population s’est illustrée à Bagdad même. « Le symbole du nouveau régime, écrit-il, ce sont les énormes blocs de béton alignés pour s’opposer aux attentats à la voiture piégée, comme autant de gigantesques tombeaux grisâtres. Des murailles, elles aussi en béton, ont isolé la Zone verte, au centre de Bagdad, où Américains et Britanniques ont installé leur quartier général. »
La résistance à l’occupant est le fait des Irakiens eux-mêmes, estime Cockburn. C’est ce que confirme un autre document publié le 8 décembre par la Brookings Institution de Washington. Selon ce document, il y avait, en novembre 2005, entre 15 000 et 20 000 insurgés, mais seulement entre 700 et 2 000 « combattants étrangers ». La Brookings Institution précise que parmi les « militants étrangers », il y aurait 600 Algériens, 550 Syriens, 500 Yéménites, 450 Soudanais, 400 Égyptiens, 350 Saoudiens et 150 sympathisants venus d’autres pays. Source : le Center for Strategic and International Studies américain.
« À l’heure actuelle, selon Cockburn, l’Irak est un extraordinaire patchwork où la situation diffère totalement d’une région à l’autre. Le Kurdistan est plus prospère qu’il ne l’a jamais été. Dans toutes les villes, des grues se dressent vers le ciel. À Bagdad, en revanche, on ne recense presque aucun immeuble en construction. Dans les beaux quartiers, on ne voit que des agents de sécurité. Les habitants ont fui.
« Selon un récent sondage de la BBC, la moitié des Irakiens interrogés répondent que leur pays a besoin d’un leader à poigne. Et seulement 28 % considèrent que la démocratie est une priorité. Mais on aurait tort d’imaginer que les Irakiens sont en mesure de s’entendre sur l’identité dudit leader. Les sunnites veulent un homme capable de mettre les chiites au pas. Et les chiites veulent qu’il sache se faire obéir des sunnites. »
À la veille du scrutin du 15 décembre, Cockburn était convaincu que la grande majorité des Irakiens voteraient sur des bases religieuses ou ethniques et que le pays allait inexorablement évoluer vers une confédération. « Rien ne laisse à penser, conclut-il, que la guerre de mille jours touche à sa fin. Tous les mois, un millier de nouveaux cadavres arrivent dans les morgues de Bagdad. Un nouvel Irak est en train de se constituer, mais dans un bain de sang. »
Sans évoquer directement le « remodelage » du Moyen-Orient dont rêvaient les néoconservateurs américains, The Independent consacre une page entière aux « redoutables conséquences » de la guerre d’Irak, dans le monde entier. Contrairement à Bush, le quotidien ne croit pas une seconde que « l’année 2005 ait été un tournant dans l’histoire de la liberté ». Deux exemples.
Au Proche-Orient, au lieu de la solution des deux États « viables » souhaitée par Bush et Tony Blair, le quotidien constate qu’Ariel Sharon met en place sa « propre solution » et fait construire une barrière de sécurité qui « empiète sur le territoire palestinien au mépris du droit international ». « Les Palestiniens craignent que si le parti récemment fondé par Sharon l’emporte aux prochaines élections, il ne cherche à imposer de nouvelles frontières avec une mainmise sur Jérusalem-Est et d’autres portions de territoire en Cisjordanie », ajoute The Independent.
En Iran, il n’est nullement exclu qu’en chassant Saddam Hussein, les Américains aient incité le gouvernement à s’obstiner à développer l’arme nucléaire. Et qu’en déclarant, à la veille du dernier scrutin présidentiel, que « le processus électoral [iranien] ignore les données fondamentales de la démocratie », Bush ait encouragé les Iraniens à se rendre nombreux aux urnes et à élire Mahmoud Ahmadinejad. Lequel a, depuis, déclaré que l’Holocauste et ses 6 millions de morts était un « mythe » inventé par les Européens pour installer un État juif au coeur du monde arabe. Et qu’il fallait « rayer Israël de la carte ».
Quant à l’image des États-Unis, The Independent écrit que « les sondages montrent que la guerre d’Irak a largement renforcé le sentiment antiaméricain en Europe, au Moyen-Orient et en Asie ». Et qu’« une grande majorité de la population dans les pays musulmans a une opinion négative de l’Amérique ».
Pourtant, discours après discours, Bush persiste et signe. Jusqu’à quand ?

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