Humour beur à l’affiche

En France, on ne compte plus les nouveaux talents comiques d’origine maghrébine. Spécialité : les sketchs politiquement incorrects.

Publié le 19 décembre 2005 Lecture : 3 minutes.

C’est Smaïn qui a ouvert la voie en 1986 en triomphant avec son one-man-show A star is beur. Il faudra ensuite attendre une quinzaine d’années pour qu’émerge le nouveau « Coluche d’une France black-blanc-beur » : Jamel Debbouze. Depuis, on ne les compte plus. Rachida Khalil, Booder, Saïda Churchill, Nasser Djemai, Jean-Rachid, Mustapha, Miloud et autres Marzouk ont eux aussi décidé de gagner leur vie en faisant rire sur scène.
Vocation mise à part, leur point commun à tous est d’être fils et, puisque la profession tend à se féminiser petit à petit, filles d’immigrés. Si nombre de spectacles sont justement inspirés par ces fameuses origines, tous ne parviennent pas à les évoquer sans renforcer certains clichés auxquels on aurait plutôt souhaité qu’ils tordent le cou avec humour. C’est notamment le cas de La Vie rêvée de Fatna, interprété par Rachida Khalil et écrit en tandem avec Guy Bedos, qui donne une vision stéréotypée de la condition de la femme musulmane sous les latitudes occidentales.
À l’inverse, Saïda Churchill est, elle, bien décidée à nous faire rire (jaune très souvent) autrement qu’en évoquant le statut de la femme arabe. D’ailleurs, précise-t-elle, si elle a choisi un tel pseudonyme, c’est bien « pour casser l’idée préconçue que c’est le spectacle d’une Beurette qui va parler de ses problèmes de double culture ». Avec Sujet : Chomsky !, elle confirme sa détermination à nous dérider en évoquant des sujets sérieux (notamment, la manipulation des informations) auxquels on ne s’attend pas. Le résultat ? Un spectacle audacieux, hargneux, engagé et drôle malgré tout.
Mais fort heureusement, d’aucuns parviennent à évoquer leur condition avec finesse et subtilité. Dans Une étoile pour Noël, pièce « autobiographique » de Nasser Djemai, l’auteur dénonce avec esprit les contradictions de la société française qui est prête à céder une place aux enfants d’immigrés… celle qu’elle veut bien leur assigner.
La discrimination, sous ses diverses formes, est donc une thématique qui revient souvent. Booder, jeune humoriste d’origine marocaine, évoque largement dans son one-man-show 100 % autobiographique les difficultés et l’exclusion que l’on rencontre lorsque l’on n’a pas « la bonne adresse, la bonne taille, les bons cheveux, les bons parents ». Booder décrit les difficultés rencontrées pour décrocher un emploi ou séduire une jeune fille et dénonce au passage la société de « beaux gosses » dans laquelle on vit. « Aujourd’hui, si tu es gros, tu ne peux pas être garçon de café », s’insurge ce gavroche haut comme trois pommes dont le spectacle est coproduit par le comédien d’origine sénégalaise Mouss Diouf.
La galère au pied des barres HLM, le racisme, la famille (nombreuse)… Autant de thèmes déjà évoqués par Smaïn et revisités par Debbouze, dont on rappellera le fameux « Vous n’avez aucune chance, saisissez-là » à l’intention des jeunes des cités. Si ces sujets reviennent encore et encore comme de sempiternelles rengaines, pour Booder cela signifie que « depuis Smaïn, ça ne s’est pas arrangé. Ça va même en empirant. » En tous cas, le public, généralement bigarré, ne semble pas se lasser, preuve qu’il y a dans l’humour matière à exorcisation.
Ces thématiques communes autorisent-elles à regrouper ces talents sous l’étiquette « humour beur » ? Les principaux concernés ne semblent pas être d’accord. Pour Booder, l’humour beur n’existe pas. « Quand tu as grandi dans les quartiers, tu as forcément plein de choses à raconter, que tu sois beur, blanc, noir, portugais ou antillais. » Même son de cloche chez Smaïn : « Il n’y a pas d’humour beur. Il y a des gens qui parlent de leur condition avec humour, un point c’est tout. L’humour est universel. » Soit, l’humour beur n’existe pas. Mais il existe toutefois un humour des minorités ou des laissés-pour-compte. Si les comiques d’origine maghrébine sont nombreux, il en va de même des humoristes noirs. À croire qu’aujourd’hui, en France, seuls ceux issus de communautés immigrées osent repousser les limites du politiquement correct et déclencher un rire salutaire.

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