Faut-il avoir peur de la polygamie ?

Certains la rendent responsable du chômage, de la délinquance et de l’échec scolaire.

Publié le 19 décembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Pourquoi les banlieues françaises se sont-elles embrasées le mois dernier ? À cause de la polygamie que pratiquent de nombreux immigrés africains, répondent en choeur plusieurs responsables politiques – de Bernard Accoyer, le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, à Gérard Larcher, le ministre délégué à l’Emploi – relayés par l’historienne Hélène Carrère d’Encausse, de l’Académie française. L’explication est tellement ridicule – pour ne rien dire de ses relents racistes – que le président Jacques Chirac a été contraint de s’en démarquer lors du récent sommet Afrique-France de Bamako. Pourtant, force est de reconnaître qu’elle rencontre un indiscutable écho dans l’opinion. « Le discours du quidam français sur la polygamie, c’est : « ils nous prennent nos allocations et ne savent pas s’intégrer » », témoigne la sociologue Isabelle Gillette, auteure d’une thèse sur le sujet. La vérité est que le phénomène de la polygamie – autrement dit la multiplicité des mariages et donc des épouses (beaucoup plus rarement des époux) – reste fort mal connu. Ni le ministère de l’Intérieur ni la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ne sont en mesure d’évaluer son ampleur avec précision. La dernière étude de l’Insee remonte à 1993. Elle concluait à la présence en France de 10 000 foyers polygames – chiffre qui, à l’époque, avait suscité un certain scepticisme. Aujourd’hui, il faut se contenter d’une fourchette établie sur la base des indications fournies par diverses associations : entre 10 000 et 30 000 familles. Mais certains chercheurs jugent toute estimation impossible, tant la pratique est, selon eux, complexe, mouvante. De fait, certaines familles ont adopté un système de rotation : des épouses restées au Sénégal, en Mauritanie ou au Mali viennent périodiquement remplacer celles qui sont établies en France. Et certains hommes peuvent fort bien vivre seuls en France tout en ayant plusieurs épouses au pays…
La question embarrasse visiblement tout le monde. Au cabinet de Patrick Braouezec, le député-maire communiste de Saint-Denis (banlieue nord de Paris), par exemple, on s’efforce de l’éluder prudemment : « Il y a d’autres sujets d’actualité que la polygamie », s’y intéresser, c’est « entrer dans l’intimité des gens ». Sans doute, mais elle a quand même un certain nombre d’incidences pratiques. Depuis les lois Pasqua (24 août 1993), un étranger polygame et ses épouses ne peuvent obtenir une carte de résident. Quid des personnes entrées en France par le biais du regroupement familial, avant 1993 ? Une circulaire du 25 avril 2000 prévoit de leur attribuer, lors du renouvellement de leur carte, un titre de séjour d’un an dont l’éventuel prolongement dépendra de leur renoncement à la polygamie. Si cette disposition avait été respectée, il ne devrait pratiquement plus y avoir de foyers polygames en France. On sait ce qu’il en est…
Beaucoup condamnent la polygamie parce qu’elle contrevient au principe républicain d’égalité. Telle qu’elle est pratiquée en France – où les prix vertigineux de l’immobilier excluent l’installation des différentes épouses dans des logements séparés -, elle prend un caractère fréquemment insupportable. « Le plus souvent, c’est la guerre », témoigne Claudette Bodin, assistante sociale et vice-présidente d’Afrique Partenaires Service, une association spécialisée dans l’accueil des immigrés. « Quand vous vivez à quinze dans une ou deux pièces, il y a forcément des problèmes de cohabitation, des jalousies entre épouses, parfois des violences. Les enfants ont du mal à travailler et cela favorise l’échec scolaire », confirme Isabelle Gillette.
Faut-il pour autant diaboliser la polygamie ? Non, estime Claudette Bodin, qui évoque le cas d’une famille polygame malienne installée dans la banlieue est de Paris : « Je suis tombée dans une maison très bien tenue, avec des chambres bien rangées et des enfants qui travaillaient. » Bref, le fait d’avoir plusieurs épouses n’est pas forcément « désocialisant ».
Depuis 2001, des dispositions juridiques sont censées favoriser la « décohabitation » : la première épouse arrivée en France reçoit une aide pour lui permettre d’obtenir un logement. Mais seules les familles installées avant 1993 sont concernées. Du coup, en quatre ans, seuls quatre-vingt-un foyers en ont bénéficié en Île-de-France. Pour des raisons financières, bien sûr, mais aussi psychologiques : l’éclatement du foyer est souvent perçu comme un renoncement identitaire. Si le divorce n’est pas explicitement exigé par la loi, il est souvent le seul moyen de se voir attribuer un logement. Un immigré malien à qui on a proposé la décohabitation témoigne : « Aujourd’hui, je baisse la tête, je ne sais plus qui je suis. »

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