Dans les prisons du continent

Publié le 19 décembre 2005 Lecture : 6 minutes.

« J’ai visité plusieurs prisons françaises. En Afrique, ce serait des hôtels », affirme Vera Chirwa, rapporteur spécial des conditions carcérales pour la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), qui a passé douze ans dans les geôles du Malawi et visité de nombreuses prisons sur le continent. Un million de personnes sont actuellement détenues au sud du Sahara dans des conditions dénoncées régulièrement par les organisations de défense des droits de l’homme. Petits délinquants ou grands criminels, enfants et adultes, tous sont logés à la même enseigne dans des établissements surpeuplés. « Nous ne dirigeons pas des hôtels. Ici nous devons accepter toutes les personnes qui nous sont envoyées », explique le commissaire aux prisons du Malawi, où près de 10 000 détenus s’entassent dans des cellules prévues pour 4 500 personnes.
Du Cameroun à l’Afrique du Sud, en passant par le Rwanda ou le Kenya, les taux d’occupation font frémir : 200 % en Tanzanie, en Ouganda ou au Sénégal, et plus de 400 % à Douala et à Nairobi. En moyenne, les détenus disposent au sud du Sahara d’un espace d’environ 2m2, très en dessous de la norme de 9m2 fixée par les Nations unies. Qualifié « d’inhumain » lors de la première Conférence panafricaine sur les conditions de détention en Afrique, qui s’est tenue à Kampala en 1996, le niveau de surpopulation n’a depuis cessé de s’aggraver.
Réunis à Nairobi en août dernier, les responsables de l’administration pénitentiaire de 14 pays d’Afrique australe, centrale et orientale ont tiré une nouvelle fois la sonnette d’alarme sur les difficultés à gérer une telle situation. D’autant plus qu’en raison de la politique du « tout-répressif » en vigueur dans la plupart des états africains, le nombre de détenus continue de croître, y compris dans les pays engagés sur la voie démocratique, où la multiplication des prisonniers de droit commun conduit à des taux d’emprisonnement souvent vertigineux. En tête du classement, régulièrement mis à jour par le Centre international d’études pénitentiaires (ICPS), un organisme britannique affilié au King’s College de Londres : l’Afrique du Sud, où le chômage et la pauvreté sont à l’origine de la moitié des crimes, avec 344 détenus pour 100 000 habitants.
À cette promiscuité s’ajoute une dégradation des conditions d’hygiène et de santé. Les témoignages d’anciens prisonniers, de représentants d’organisations des droits de l’homme et de journalistes qui se sont rendus sur le terrain sont unanimes… et effrayants. De l’absence de sanitaires dans les cellules – voire d’eau courante dans les cas les plus graves – à la vétusté des installations en passant par l’insuffisance de nourriture, la torture et les passages à tabac, les centres de détention des pays africains demeurent très loin des normes du droit international. Au Malawi, les infrastructures de la prison de Maula, à quelques kilomètres de la capitale, se résument à une douzaine de baraquements couverts de toit en taule et entourés de barbelés, où les détenus passent quatorze heures par jour, entassés, sans pouvoir bouger. Avec un seul repas par jour, et sans eau potable. Aux dires des experts, ces conditions sont néanmoins loin d’être les pires du continent. D’après Amnesty International, les prisonniers incarcérés à Black Beach, en Guinée équatoriale, devaient se contenter en avril 2005 de la nourriture procurée par leur famille par l’intermédiaire des gardiens. Une situation courante dans les geôles africaines, qui débouche fréquemment sur des protestations ou des mutineries, réprimées dans le sang. L’une des dernières, qui a éclaté début janvier 2005 dans la prison de Douala, s’est soldée par un mort et une vingtaine de blessés.
Conséquence de cet enfer carcéral : des taux de mortalité qui avoisinent les 2 % en Guinée, en Ouganda ou au Zimbabwe. Régulièrement dénoncé, le manque de sollicitude à l’égard des prisonniers séropositifs fait l’objet de programmes spéciaux, et des structures spécifiques se développent progressivement de Dakar à Pretoria. Mais le paludisme, la tuberculose, le choléra, ainsi que certaines maladies bénignes comme la dysenterie ou les gastro- entérites, continuent de faire des ravages dans des établissements souvent dépourvus d’infirmerie ou équipés de centres de soins sommaires. Selon des administrations pénitentiaires et des ONG oeuvrant pour l’humanisation des conditions carcérales en Afrique, les moyens financiers font cruellement défaut. « Comment dépenser de l’argent pour améliorer le système de détention lorsque l’on en manque pour construire des écoles ? » s’interroge le responsable d’une ONG. « Surtout dans des pays où les détenus sont encore largement considérés comme des personnes dépourvues de tout droit qui doivent payer pour leurs crimes. » Et qui paient effectivement le prix fort.
Les plus faibles doivent faire face aux brimades et au racket de gangs opérant souvent en toute impunité. L’insuffisance de personnel, doublée de l’absence d’une formation adéquate, ne permet pas d’assurer la sécurité derrière les barreaux. Ni de prévenir les abus sexuels dont sont victimes nombre de détenus et de prévenus. En 2002, à la veille de la Conférence de Ouagadougou sur la réforme pénale et pénitentiaire en Afrique, seule l’Afrique du Sud séparait les hommes des femmes et des mineurs. Promue au rang de priorité, la prise en charge des prisonniers vulnérables n’a pas beaucoup évolué depuis.
Pourtant, de nombreux programmes de réhabilitation pénitentiaire voient peu à peu le jour sur le continent. L’aide internationale accordée aux ONG travaillant sur le terrain demeure la première source de financement. « En dépit de certaines améliorations, il reste énormément à faire », affirme Loup Monnot des Angles, président de l’association française Prisonniers sans frontières, présente dans 72 centres de détention d’Afrique de l’Ouest situés généralement dans les zones rurales. Des financements de l’Union européenne ou des services de coopération de pays de l’Union ont permis de rénover, ou de construire, des infrastructures sanitaires et de mettre en place des jardins maraîchers, permettant d’améliorer les conditions alimentaires. Autre priorité des ONG : les actions en faveur de la réinsertion des détenus, totalement négligée par les gouvernements. Cours d’alphabétisation, ateliers de formation professionnelle, ces programmes sont destinés à donner une deuxième chance à des personnes qui n’ont parfois commis que des délits mineurs.
« Les maux dont souffrent les prisons ne pourront être résolus qu’en réformant l’ensemble du système pénal des pays africains », affirme Hélène Desodt, coordinatrice Afrique de l’ONG Penal Reform International (PRI), qui a réalisé en 2002 en collaboration avec la CADHP le dernier état des lieux complet de la situation carcérale et pénale dans 27 pays subsahariens. Dénoncés par cette étude, la durée et le recours excessif à la détention provisoire sont l’une des principales causes du surpeuplement. Dans certains pays, la proportion de prisonniers en attente de jugement atteint 80 %. En juin 2004, 1 410 des 1 765 détenus de la prison de Cotonou n’avaient pas été jugés. Dans la capitale kényane, la prison Nairobi Remand, construite en 1991 pour 600 personnes, accueillait en mars 2003 plus de 3 000 prévenus. Tous doivent attendre plusieurs mois, et souvent plusieurs années, avant de passer devant un tribunal. Lorsque leur dossier n’est pas malencontreusement égaré ou qu’ils ne tombent pas progressivement dans l’oubli judiciaire.
En Côte d’Ivoire, pour accélérer la procédure, Prisonniers sans frontières met en oeuvre depuis 2003, en association avec l’Union européenne, un programme d’informatisation des greffes de 22 prisons. « L’analyse des dossiers a montré une absence de suivi pénal », explique le président de l’association. « Le recensement des prisonniers a permis d’identifier 400 prévenus qui, n’ayant pas de raison d’être derrière les barreaux, ont été libérés. » Ce projet pourrait faire des émules dans les pays voisins. Tout comme le programme d’assistance parajudiciaire mis en place par PRI au Malawi, avec l’appui du gouvernement britannique : en l’espace de trois ans, la proportion des détenus en attente de jugement a été divisée par deux. Même si les lenteurs persistent, en raison du manque cruel de juges et de procureurs.
L’introduction d’alternatives à l’emprisonnement devrait désengorger les prisons africaines. Mis en place avec succès au Zimbabwe en 1994, le travail d’intérêt général fait alors son entrée dans les dispositifs juridiques subsahariens du Mali à la Tanzanie, en passant par le Burkina et le Bénin. Cette mesure, qui permet d’éviter le recours systématique à une justice répressive coûteuse, suscite l’intérêt des gouvernements. « Mais il faudra du temps pour faire évoluer les mentalités, puisque, à première vue, il ne s’agit pas d’une punition », prévient Hélène Desodt.

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