[Tribune] Quatre défis pour les ports africains
Course au gigantisme des navires, apparition de hubs portuaires d’ampleur et déplacement du centre de gravité maritime mondial vers l’Asie, développement de l’automatisation et des outils informatiques… Pour les deux auteurs, la mue accélérée du secteur portuaire ces vingt dernières années touche le continent au plus près. Dans ce mouvement, nombreux sont les défis à relever.
L’Afrique n’est pas restée à l’écart de la révolution du secteur du transport maritime et l’a vu changer en profondeur. Plus de 50 milliards de dollars (46 milliards d’euros) ont été investis dans les ports entre 2007 et 2017, pour accompagner un trafic maritime multiplié par quatre.
Port Saïd et Tanger Med se sont hissés en une décennie dans le top 50 des ports mondiaux, tirant un profit judicieux de leur situation géographique privilégiée. La majeure partie des ports a fait l’objet de plans de modernisation, y compris via des privatisations.
Il reste cependant de nombreux défis à relever pour le secteur portuaire continental, dans un contexte évolutif (impact des guerres commerciales), marqué par une concurrence exacerbée et où les situations nationales sont très variables (le port de Durban traite 3 millions TEU, le port de Cotonou, moins de 0,4).
Investissements raisonnés
Le premier défi consiste à investir intelligemment, en évitant de sombrer dans la folie des grandeurs. Malgré les rêves de certains dirigeants, tous les pays ne pourront s’offrir un hub de classe mondiale, quatre à cinq ports pourront prétendre à ce qualificatif (deux au Maghreb/Machrek, deux en Afrique de l’Est et australe). S’y ajouteront une dizaine de hubs sous-régionaux, servant les ports adjacents et les pays enclavés de l’hinterland.
Les autorités portuaires doivent analyser finement la demande avant d’investir massivement dans les infrastructures. Beaucoup de pays gagneraient à investir de façon frugale et ciblée : décongestion des axes d’accès au port, création de parking camion et de zones logistiques arrières, modernisation incrémentale des quais et superstructures.
Meilleure gestion
La meilleure façon de moderniser les ports est parfois moins d’investir dans « le lourd » que de revoir les process et d’améliorer la collaboration entre acteurs portuaires pour faire la chasse aux inefficiences (le séjour d’un conteneur dans la plupart des ports d’Afrique subsaharienne est d’une vingtaine de jours contre trois à quatre dans la plupart des grands ports internationaux).
Cela passe par une meilleure gestion des mouvements de bateaux (port call optimization). Par l’amélioration des opérations de chargement et de déchargement (formation RH, optimisation des process). Par une amélioration massive des délais et coûts de transaction (douanes) et une politique de décongestionnement des terminaux (les importateurs d’Afrique subsaharienne sont encore trop souvent incités à utiliser les ports comme zones de stockage).
Par ailleurs, la digitalisation (Port community system) et l’établissement d’indicateurs de performance (KPIs) permettent d’établir un dialogue entre les acteurs, et de faire mentir le dicton humoristique : « Port : endroit où les bateaux sont à l’abri des tempêtes et exposés à la furie des douanes ».
Capitaux privés
Le troisième défi consiste à continuer à attirer les investisseurs privés (détenant capitaux et know-how), tout en s’assurant qu’ils ne s’adjugent pas indûment des positions néfastes à la compétitivité des pays (monopoles, oligopoles).
Cela passe par une gouvernance renforcée, où les partenaires publics (autorités portuaires, ministères) savent préserver l’intérêt général tout au long de la vie des partenariats public-privé (PPP) : négociation en amont (redevances et obligation de s’associer avec un partenaire local, notamment l’État), choix des concessionnaires (en portant une attention particulière aux lignes maritimes souhaitant gérer des terminaux), régulation, suivi des indicateurs et benchmarks internationaux (efficacité et coût de passage).
Terminaux spécialisés
Enfin, dans un contexte où beaucoup n’ont d’yeux que pour les méga-hubs à conteneurs, d’autres terminaux spécialisés doivent être développés pour contribuer à l’émergence de l’Afrique. Tanger Med a ainsi créé un cercle vertueux : le port et sa zone franche ont attiré des sociétés industrielles qui a leur tour ont renforcé l’attractivité du port (Renault exporte plus de 300 000 voitures).
Les aménagements permettant d’accueillir les paquebots de croisière contribuent au développement du tourisme, qui créé des milliers d’emplois. Enfin, la création de terminaux minéraliers performants est une des conditions sine qua non à la mise en valeur de projets miniers massifs (Simandou, Belinga, etc.), à l’image des ports de Richards Bay (charbon) et de Nouadhibou (fer).
Beaucoup de pays, dont certaines économies majeures (Algérie, Nigeria, Kenya) doivent encore améliorer significativement la capacité et l’efficacité de leurs ports.
Mais la mue des ports d’Afrique est en marche. Elle a permis en moins d’une décennie de créer des champions globaux (Tanger, Djibouti, Lomé). Ces succès peuvent servir de role models, capable de galvaniser leurs concurrents, pour le plus grand bonheur du consommateur et de l’exportateur africains.
Par Amaury de Féligonde – associé d’Okan, société de conseil en stratégie et en finance dédiée à l’Afrique, et Kim Fejfer – DG d’A.P. Moller Capital, fonds d’investissement danois dévolu aux marchés émergents.
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