Au vrai chic islamique

Sites Internet, boutiques, magazines… Quand le hijab tourne à l’article de prêt-à-porter.

Publié le 19 décembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Eh oui ! les temps changent. Même l’uniforme islamique sacrifie aujourd’hui à la mode. Les « soeurs » succombent à la tentation de la coquetterie qu’elles abandonnaient naguère avec horreur aux kâfirât (« mécréantes »). Il suffit de consulter le site www.thehijabshop.com, fournisseur des mille et une manières de se couvrir le chef, pour s’en persuader. Les tissus, les motifs et les poses varient d’une annonce à l’autre. L’on peut ceindre son crâne de rouge ou de bleu indigo, agrémenter le foulard de franges ou de drapés, le porter en cloche ou en couronne, serré par un diadème sur la poitrine ou du velcro autour du cou. Les motifs vont des rayures au paysage floral, en passant par les carreaux ou l’imitation léopard.
Outre le fichu, le costume lui-même évolue. Le voile bascule de l’hermétique abaya à l’élégante chasuble. On allie volontiers tchador et Nike, foulard et pantalon fuseau. À Tunis, l’été dernier, nombre de moutahajjibat (« celles qui portent le hijab ») se baignaient dans un étrange costume : tunique, pantalon, voile et casquette assortis, le tout étudié pour, une fois mouillé, ne point trop coller au corps…
Pourtant, la tenue islamique peut, à l’occasion, prendre des allures franchement sexy. On exhibe son voile comme on le fait d’une belle chevelure, on met sa féminité en valeur sous des tissus souples et soyeux, des djellabas fendues laissant deviner des pantalons en satin. Le voile sert sinon à montrer, du moins à laisser deviner son corps.
Le phénomène n’est pas nouveau. En Égypte, depuis une décennie, les revues de mode islamique pullulent. Au Maroc, la presse féminine oriente la tendance vers le traditionnel caftan, et les jeunes branchées se distinguent par leur façon d’assortir leur foulard à leur jean. En Belgique, les Créations Saouli organisent des défilés de « vêtements islamiques ». Et, depuis peu, des hijab shops voient le jour un peu partout. De l’art et de la manière de se voiler « mode » sans culpabiliser, puisqu’une partie des bénéfices est souvent reversée à des oeuvres caritatives.
Bref, le marché du voile a le vent en poupe. Pourquoi pas ? Après tout, le Coran ne prescrit pas de modèle unique ni ne précise la forme ou la couleur du voile. Fini le temps de l’austérité, quand les intégristes tentaient d’imposer un uniforme à toutes les musulmanes. Une vraie atteinte à la diversité culturelle. Car la texture, la couleur et la coupe du voile ont toujours varié d’un pays musulman à l’autre. Et parfois d’une région à l’autre.
En Palestine, par exemple, sa couleur indique si la jeune femme qui le porte est mariée ou célibataire. Et le tissu, soie ou coton, dans lequel il est taillé révèle son milieu social. En Tunisie, le safsari, le voile traditionnel que les femmes mettent pour sortir, couvre le corps de la tête aux chevilles. Il est parfois en soie et toujours de couleur blanche ou beige. Le haïk, le voile traditionnellement blanc des Algériennes, lui ressemble beaucoup.
Le port de voilettes cachant une partie du visage est courant au Maghreb comme au Machreq (qu’on les appelle qina, litham, nassif, lifam ou tcharchaf), mais exceptionnel en Malaisie ou aux Philippines. Dans le monde asiatique, en Inde et au Pakistan notamment, le voile consiste le plus souvent en un grand pan de tissu jeté sur les cheveux et les épaules, à la manière d’une Benazir Bhutto.
Dès les années 1960, les islamistes ont tenté d’imposer le hijab, un vaste foulard blanc ou noir qui couvre les cheveux et le cou, accompagné d’une ample robe en tissu opaque proche de l’abaya saoudienne. S’y adjoint parfois une voilette qui ne laisse à découvert que les yeux – ces derniers parfois cachés derrière des lunettes ! -, des gants et des bas pour dissimuler les pieds. Ce curieux accoutrement vise évidemment à différencier les « soeurs » des musulmanes laïques, accusées de céder aux modes vestimentaires occidentales. Mais les islamistes se voient à leur tour accusés d’importer des mentalités et des modes vestimentaires totalement étrangères au Maghreb et au Proche-Orient. Aux yeux des Kabyles, par exemple, le hijab est un « uniforme arabe » qui n’a rien à avoir avec le traditionnel haïk algérien. Et les tchadors qui pullulent désormais dans les couloirs des universités du Caire ou de Rabat révoltent de nombreux Arabes, qui croient voir l’Iran à leurs portes ! En Algérie, il n’est pas rare qu’une femme vêtue d’un chatri noir soit traitée de black widow (veuve noire) – ce qui est aussi le nom d’une variété d’araignée. Et qu’un turban « à l’afghane » soit plaisamment comparé à un disque « 33 tours » ! L’identité religieuse entre ainsi en conflit avec l’identité ethnique. Le style militant avec la pratique séculaire.

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