Michel Combes : « Nous repartons à l’offensive »

Distancé en Afrique, l’équipementier Alcatel-Lucent fait de son retour au premier plan un objectif majeur. Notamment en s’ouvrant à de nouveaux clients comme les banques ou les gouvernements.

Depuis sa nomination en février 2013, ce polytechnicien a effectué quatre déplacements sur le continent. © AFP

Depuis sa nomination en février 2013, ce polytechnicien a effectué quatre déplacements sur le continent. © AFP

Julien_Clemencot

Publié le 18 juin 2014 Lecture : 5 minutes.

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Télécoms & internet : à l’heure des économies

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Lorsque Michel Combes est nommé à la tête d’Alcatel-Lucent, en février 2013, le groupe franco-américain est exsangue. Étranglé par sa dette, il a perdu une partie de sa capacité à innover. Moins de dix-huit mois plus tard, ce polytechnicien passé par les directions de Nouvelles Frontières, France Télécom et Vodafone a redonné de l’élan à l’équipementier. La dette a été renégociée, le capital augmenté, plusieurs filiales vendues ou sur le point de l’être et, surtout, le projet industriel redéfini. Mais la restructuration a un coût humain. Entre fin 2012 et fin 2013, l’effectif du groupe est passé de 72 000 à 62 000 collaborateurs. Pour Jeune Afrique, Michel Combes revient sur les premiers résultats du plan de redressement d’Alcatel, dont il pense que l’avenir s’écrira en partie à l’aune de la croissance africaine.

Propos recueillis par Julien Clémençot

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Jeune Afrique : Au premier trimestre, vos résultats sont encourageants.

Nous n’en sommes encore qu’au début du plan de transformation « Shift ». La stratégie annoncée en juin 2013 commence à porter ses fruits. Nos clients, qui s’interrogeaient sur notre pérennité, nous font à nouveau confiance. Et nous enregistrons l’arrivée de nouveaux clients, à l’image de Telefónica, en Espagne.

En quoi la première étape du plan « Shift » a-t-elle consisté ?

Les douze premiers mois ont été consacrés au recentrage du groupe sur nos points forts – les réseaux IP, le cloud et l’accès au très haut débit -, ainsi que sur la réduction de notre structure de coûts pour retrouver de la marge. En neuf mois à peine, nous avons déjà réalisé 500 millions d’euros d’économie. Le troisième levier, relatif aux finances, a été mis en oeuvre plus rapidement que prévu. En 2013, nous avons été à même d’étendre la maturité de notre dette et de procéder à une augmentation de capital de près de 1 milliard d’euros. Objectif : retrouver un flux de trésorerie positif fin 2015.

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De quels maux souffrait Alcatel-Lucent ?

Il restait un grand nombre de lourdeurs héritées de la fusion entre Alcatel et Lucent. Au niveau des fonctions supports, il existait des doublons (finance, ressources humaines…). Par ailleurs, nous étions commercialement présents dans 150 pays, y compris là nous n’avions pas atteint la taille critique. Et, du point de vue de la logistique, du marketing ou des achats, notre performance n’était pas optimale.

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2014, l’année du renouveau africain ?

Avril
Lancement du réseau LTE de YooMee en Côte d’Ivoire
Février
Accord avec Tunisie Télécom pour le déploiement de services très haut débit
Février
Déploiement d’un câble sous-marin pour LTC entre Tripoli et Benghazi
Janvier
Mise à niveau du câble sous-marin Eassy

Alcatel-Lucent peut-il éviter une fusion, par exemple avec Nokia, pour continuer de jouer un rôle de premier plan ?

J’ai proposé un projet pour l’entreprise qui doit permettre de renouer avec les profits à l’horizon 2015. Ce plan mobilise toute mon énergie, le reste ne m’intéresse pas.

Quelle va être la deuxième étape du redressement d’Alcatel-Lucent ?

Elle sera centrée sur l’innovation. Dans les domaines des routeurs, du transport optique – passer du 100 Go au 400 Go, puis au térabit -, du mobile – intégration des technologies 4G et, à l’avenir, 5G -, dans le domaine du très haut débit fixe – sur les réseaux en cuivre -, dans le domaine du cloud – virtualisation des applications de réseau.

La société innove en interne et en signant des partenariats, comme nous l’avons fait avec les américains Intel [microprocesseurs] et Qualcomm [technologies mobiles]. Il faudra aussi libérer la croissance en nous développant vers de nouvelles zones géographiques.

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Par exemple en Afrique ?

L’Afrique est, à mon sens, une zone absolument essentielle. Alcatel-Lucent y a été par le passé un acteur très important, et nous avons un peu reculé. J’entends repartir à l’offensive. L’autre axe consiste à trouver de nouveaux clients en plus des opérateurs de télécoms. Il y a les câblo-opérateurs, les acteurs de l’internet, les grandes entreprises utilisant beaucoup de technologie, – par exemple les banques – et les gouvernements, notamment en Afrique.

Quels sont vos objectifs commerciaux sur ce continent ?

Nous ne communiquons pas nos chiffres par zone géographique. Pour autant, ce continent, que je connais bien pour l’avoir parcouru au cours de mes précédentes fonctions, constitue aujourd’hui une priorité absolue. J’y ai déjà effectué quatre déplacements en dix-huit mois, plus que mon prédécesseur en quatre ans. Je suis allé en Afrique du Sud, en Côte d’Ivoire, au Maroc. Et je vais bientôt aller au Kenya. Pour y parvenir, nous avons réorganisé notre présence autour de sept hubs régionaux (Égypte, Maroc, Sénégal, Côte d’Ivoire, Nigeria, Kenya, Afrique du Sud), qui peuvent apporter un soutien dans les vingt-trois pays où nous sommes directement présents ou là où nous sommes représentés par des distributeurs.

Le gouvernement français prône le patriotisme économique. Orange vous soutient-il en Afrique ?

Totalement. Depuis que je suis arrivé à la tête du groupe, nous recevons un soutien très fort de la part des dirigeants de cet opérateur. Orange est prêt à nous faire confiance sous réserve que nous puissions les servir au mieux de leurs intérêts.

En mettant l’accent sur les dernières technologies, comment espérez-vous exister en Afrique, où leur adoption est lente ?

Ces technologies sont en train de se diffuser. Les câbles sous-marins qui irriguent le continent méritent d’être prolongés. Cela se traduit, dans les faits, par des investissements importants en termes de réseaux terrestres, pour lesquels nous sommes très performants. Cela induit aussi une mise à niveau des réseaux d’accès, qu’ils soient fixes ou mobiles. Ces derniers commencent à adopter la technologie 4G sous l’impulsion des opérateurs de télécoms ou de nouveaux fournisseurs d’accès à l’internet [comme Smile ou YooMee] qui utilisent les technologies sans fil pour fournir de l’internet haut débit.

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Pourquoi l’Afrique n’a pas la fibre numérique

Au Nigeria, vous gérez l’exploitation quotidienne du réseau d’Etisalat. Allez-vous multiplier ce type de contrats ?

En Afrique, beaucoup d’opérateurs nous le demandent. Dans ce domaine, Alcatel a connu quelques déboires financiers. Après mon arrivée, le groupe a cédé un certain nombre de contrats. Cette mise à niveau est quasiment terminée. Désormais, nous sommes prêts à redévelopper cette activité.

Comment faites-vous face à un équipementier chinois tel que Huawei, qui propose des financements très attractifs ?

Avant même de gémir, nous nous devons être compétitifs du point de vue de la qualité de service, du prix et de l’innovation. Mais il faut aussi que la concurrence soit équitable. Nous n’y sommes pas encore tout à fait parvenu. Dans ce contexte, nous essayons de tirer profit des financements bilatéraux ou multilatéraux autres que ceux des investisseurs chinois. Ce qui ne nous empêche pas de solliciter l’appui des banques chinoises [China Exim Bank, China Development Bank…], car nous sommes aussi présents en Chine avec 15 000 collaborateurs via Alcatel Shanghai Bell (ASB). Je ne vous cache pas que c’est difficile.

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