Tournant stratégique pour les opérateurs

Dans la perspective du ralentissement de l’activité, les sociétés africaines de téléphonie mobile cherchent à mieux rentabiliser les réseaux existants. à terme, il leur faudra sans doute trouver de nouveaux partenaires.

Publié le 21 novembre 2007 Lecture : 6 minutes.

Fini la croissance ! En 2005, le marché africain de la téléphonie mobile enregistrait une progression de 66 % du nombre d’abonnés, faisant du continent la zone la plus dynamique au monde. La progression d’ensemble était de 25 %. L’Afrique affichait une nouvelle année de forte hausse dans ce domaine, moins de dix ans après l’introduction de la norme GSM sur le continent par l’opérateur sénégalais Sonatel. Mais, en 2007, la hausse a été de « seulement » 24 % (15 % dans le monde, voir graphique page suivante), pour atteindre 241,2 millions d’utilisateurs africains de téléphone mobile. Selon les analystes du cabinet d’études de marché Informa Telecoms et Media, les performances vont continuer à diminuer dans les années à venir, pour passer sous la barre des 10 % de progression annuelle en 2009. Le marché africain du téléphone mobile atteint ses limites, et les opérateurs, s’ils veulent continuer à développer leur activité, devront relever de nouveaux défis.

Étendre les réseaux dans les zones rurales
La saturation du marché accessible à moindre coût est l’une des explications au ralentissement de la croissance du nombre d’abonnés. Le taux de pénétration du téléphone mobile (nombre d’utilisateurs ramené à la population du pays) est encore disparate suivant les régions. Avec un résultat record de 75 % à la fin du premier semestre 2007, la Tunisie arrive en tête en Afrique du Nord, devant l’Algérie (71 %), le Maroc (50 %), et même l’Égypte (25 %). En Afrique subsaharienne, la situation est beaucoup plus contrastée. L’Afrique du Sud domine largement, avec un taux de 83 %, et si le Gabon (58 %), la Côte d’Ivoire (26 %), le Nigeria (24 %), le Sénégal (24 %) et le Cameroun (19 %) affichent des scores honorables, de nombreux pays sont à la traîne. C’est, par exemple, le cas de la Guinée et de la RD Congo (8 %), du Burkina (7,5 %) ou encore du Rwanda (4 %).
Là se trouvent les premiers gisements de croissance de la clientèle : l’association internationale GSM World, qui regroupe 700 opérateurs de téléphonie mobile dans le monde, soit la quasi-totalité, estime qu’aujourd’hui les réseaux en place en Afrique desservent plus de 500 millions de personnes tandis qu’ils n’ont que 200 millions de clients. Le défi est donc de conquérir les 300 millions restants et, dans les pays les moins équipés, d’améliorer le taux de pénétration du téléphone mobile. Compte tenu de leurs populations respectives, plusieurs centaines de milliers de nouveaux abonnés sont ainsi à conquérir. Pour aller au-delà, il faudra sortir des villes et déployer les réseaux dans les zones rurales et semi-rurales. Les opérateurs d’Afrique du Nord n’ont pas fait autrement pour dépasser les 50 % de taux de pénétration. Reste que les niveaux de vie hors des villes y sont plus élevés que dans la plupart des régions rurales d’Afrique subsaharienne. Pour les opérateurs, les futurs clients ne seront pas les plus rémunérateurs.

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Innovation technologique et valeur ajoutée
Déjà l’Afrique, si elle reste le marché le plus dynamique en termes de progression de la clientèle, est aussi l’un des moins lucratifs. Le chiffre d’affaires moyen par abonné, ce que les professionnels nomment l’ARPU (Average Revenue Per User), y est de 20 dollars par mois, contre 25 au Moyen-Orient, 56 aux États-Unis et 55 en Europe. Face à la concurrence, les opérateurs africains ont contribué à creuser cet écart : « La baisse continue de nos tarifs en 2006 nous a permis de nous imposer sur le marché guinéen », confirme Hassan Jaber, PDG de MTN Guinée. Celtel a été l’un des premiers à tenter une démarche différente. En septembre 2006, il lançait le concept « One Network », permettant à ses clients de se déplacer librement entre le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda sans frais supplémentaires de roaming et sans avoir à payer pour recevoir les appels entrants. Le système a ensuite été étendu à trois pays d’Afrique centrale où le groupe est présent, le Congo, la RD Congo et le Gabon. Il est également utilisé par Orange en Afrique de l’Ouest, sous le nom de « Orange Zone ».
Il faudra pourtant bien que le mouvement à la baisse de la minute de communication s’interrompe. L’un des impératifs qui s’imposent aux opérateurs est d’améliorer le chiffre d’affaires moyen par utilisateur, ce qui passe par le développement de nouveaux usages du téléphone mobile, par exemple pour régler des dépenses (mobile banking) ou recevoir par SMS des informations pratiques. En Afrique, plusieurs sociétés développent des solutions similaires, adaptées au contexte local (lire ci-contre). À terme, dans le monde, l’enjeu réside dans le succès de l’Internet mobile, avec des extensions telles que la télévision sur le téléphone. Pour des raisons de coût, il est peu probable que ces applications soient déclinées à l’africaine. Mais, de l’avis de nombreux spécialistes, les réseaux africains de téléphonie mobile sont à ce jour le principal véhicule, pour ne pas dire le seul, des transmissions de données informatiques.

Grandir et quitter l’Afrique ?
Au début – il y a dix ans – était la forte demande en téléphonie mobile et, surtout, des prévisions de croissance très encourageantes. Elles ont attiré de nombreux investisseurs, dont certains se sont vite révélés incapables de fournir un service de qualité. Ce fut le cas en Guinée jusqu’en avril 2006, date de l’arrivée d’Areeba (groupe MTN) à Conakry. Auparavant, les Guinéens étaient contraints de souscrire à deux, voire trois réseaux pour espérer communiquer correctement De 1997 à 2005, le marché s’est progressivement organisé et a donné naissance à des groupes plus structurés, présents simultanément dans plusieurs pays, ce qui leur permettait notamment d’avoir une surface financière suffisante pour conquérir de nouveaux marchés.
Ainsi sont nés des opérateurs purement africains comme Celtel (14 pays africains), MTN (16 pays), Moov (7) ou encore Vodacom (7). Ils cohabitent avec des groupes multinationaux eux aussi bien implantés en Afrique, comme le français Orange (9 pays africains), le luxembourgeois Millicom (7) et l’égyptien Orascom Télécom (3), par ailleurs bien implanté au Moyen-Orient. Le même modèle a sans doute inspiré le groupe koweïtien MTC (aujourd’hui nommé Zain), qui s’est porté acquéreur de Celtel, en 2005, pour le montant record de 3,4 milliards de dollars. Un an plus tard, en mai 2006, c’était au tour de MTN de prendre le contrôle de l’opérateur libanais Investcom à hauteur de 5,5 milliards de dollars. Une opération qui a permis au groupe sud-africain de gagner de nouveaux marchés au Ghana, au Liberia, en Guinée, au Bénin, en Guinée-Bissau et au Soudan, mais aussi en Afghanistan, en Iran et en Syrie.
Pour sortir des mailles du filet africain et se garantir une croissance stable, les opérateurs pourraient donc décider d’exporter leurs activités hors du continent. Le milliardaire égyptien Naguib Sawiris, propriétaire d’Orascom Télécom, s’est installé en Europe en 2005 en prenant le contrôle de l’opérateur italien Wind. En juin 2007, il s’est dit également prêt à venir en France en s’associant au numéro trois français, Bouygues Télécom. Sa proposition est restée sans suite. Pour le moment. De tels mouvements paraissent inéluctables, tant les groupes étrangers en Afrique ont une force de frappe sans égale. Le français Orange gère 17,5 millions de clients africains sur un total de 97,6 millions dans le monde. Il est présent dans neuf pays du continent (voir tableau p. 78). Par comparaison, le britannique Vodafone, le plus grand opérateur de téléphones mobiles au monde, n’est présent que dans sept pays africains, soit neuf de moins que MTN, qui vient de lui ravir la place de numéro deux sud-africain par le chiffre d’affaires. Des rumeurs prêtent à Vodafone l’intention de prendre le contrôle total de sa filiale Vodacom en Afrique du Sud, qu’il possède aujourd’hui à hauteur de 50 % avec Telkom, l’opérateur historique du pays. La transaction pourrait s’élever à 10 milliards de dollars. D’autres sources font état d’un rapprochement purement sud-africain entre Telkom et MTN. Une nouvelle vague de fusions devrait bientôt animer le secteur des télécoms en Afrique.

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