Coronavirus : la Tunisie redouble de vigilance
Face à la propagation du coronavirus en Italie, où vivent près de 200 000 ressortissants tunisiens, et après la confirmation d’un cas en Algérie, la Tunisie renforce son dispositif de prévention.
L’évolution spectaculaire des cas détectés en Italie, où vivent 200 000 Tunisiens, et le premier cas déclaré en Algérie voisine relancent le débat sur les mesures à mettre en place pour lutter contre le coronavirus. L’ex-ministre du Tourisme René Tabelsi a laissé entendre qu’en cas de nécessité, l’interdiction des vols en direction de Milan, ville italienne la plus touchée par le Covid-19, pourrait être envisagée.
« Comme la menace se rapproche, les gens commencent à se poser des questions et il faut augmenter la communication », estime le Dr Samir Abdelmoumen. Le médecin a passé 14 jours confiné avec la dizaine de Tunisiens de retour de la zone de Wuhan, en Chine, épicentre de l’épidémie de pneumonie virale. Rapatriés le 3 février par l’Algérie, ils ont été transférés par avion militaire vers la Tunisie et placés dans l’unique centre de mise en quarantaine du pays, dont le lieu est tenu secret. Tous les patients ont depuis été déclarés sains et « relâchés ».
600 personnes en isolement
Au total, 4 millions de dinars (environ 1,2 million d’euros) sont dédiés à la prévention de cette crise. Les contrôles se sont étendus dans les aéroports du pays aux personnes venues des zones à haut risque : la Chine, la Corée du Sud, l’Italie et l’Iran. « Sur la vingtaine de prélèvement effectués tous sont négatifs », assure le médecin anesthésiste-réanimateur Chokri Hamouda.
En Tunisie, quelque 600 personnes ont été placées en auto-isolement (à domicile) et sont suivies quotidiennement. La plupart d’entre eux avaient séjourné dans les zones à risque ou côtoyé des voyageurs. Des groupes de touristes, essentiellement chinois, ont eux été placés à l’isolement dans leur hôtel. Aucun n’a nécessité de transfert hospitalier.
Plusieurs hôpitaux ont par ailleurs mis en place des cellules d’isolement pour les cas suspects. Chaque gouvernorat en dispose d’au moins une, explique Nawfel Somrani directeur de la « shoc room » [la salle de gestion des grandes crises, ndlr] du centre stratégique d’opérations sanitaires. Dans le Grand Tunis, quatre structures sont déjà prêtes : à l’hôpital militaire et dans ceux de Charles Nicolle, La Rabta et Mami (Ariana).
Des mesures exceptionnelles comme la fermeture d’écoles, l’annulation de festivals, voire du pèlerinage à la Mecque, devront être appliquées
Les médecins libéraux se sentent particulièrement exposés. « J’ai fait quatre visites à domicile dans la journée. Je m’interroge sur une éventuelle propagation de l’épidémie », déclare le Dr Sami Allagui, qui exerce à Tunis. Il assure s’informer de son mieux mais regrette qu’aucune communication directe ne soit mise en place vis-à-vis des professionnels libéraux. Et appelle à la création de comités sectoriels et de consultations de télémédecine, via internet.
Depuis peu, des formations ont été mises en place pour les médecins privés, en collaboration avec le Samu, le conseil de l’ordre des médecins et les syndicats du secteur. La médecine scolaire est elle aussi impliquée. « En cas de besoin, des mesures exceptionnelles comme la fermeture d’écoles, l’annulation de festivals, voire du pèlerinage à la Mecque, devront être appliquées », estime le Dr Abdelmoumen.
« Riposte évolutive »
Ces mesures suivent un plan de préparation mis en place depuis plusieurs années. Mais dans un pays où les disparités économiques impactent même les structures sanitaires, plusieurs directeurs régionaux ont fait part d’un manque de moyens. Des commission de supervisions se déplacent pour y répondre. « La riposte est évolutive », explique le Dr Abdelmoumen.
Face à la pénurie mondiale de masques homologués FFP2, le ministère de la Santé achète désormais ceux produits en Tunisie et destinés à l’exportation. La pharmacie centrale devrait en recevoir au plus vite afin de renouveler, en priorité, les stocks aux postes frontières.
Dans un pays qui compte huit ports de plaisance et neuf aéroports, les douaniers et employés aux frontières sont en effet en première ligne face au risque d’épidémie. Pour éviter toute contamination, des caméra thermiques relèvent la température des voyageurs aux entrées du pays. Le protocole est « évolutif », insiste le Dr Hamouda, qui précise que la Tunisie est « en phase de progression dans la mise en oeuvre de sa stratégie ».
Directeur général de santé de base au Ministère de tutelle, le Dr Hamouda participe à la coordination des structures et mène des visites de prospection pour s’assurer que les mesures sont appliquées. De retour d’une mission au port de Radès, dans la banlieue sud de Tunis, où circulent des containers du monde entier, il rapporte l’inquiétude des dockers.
« Les cargaisons manipulées ne sont plus en contact avec le pays d’origine depuis plusieurs heures, voire jours. Nous nous basons sur les estimations de l’OMS qui ne considère pas que ces marchandises soient sujettes à contamination », rassure-t-il toutefois. Il appuie cependant une coopération entre la Société transports marchandises (STAM) et la médecine du travail afin de mettre en place des mesures préventives pour des travailleurs qui réclament gants et masques.
Coopération régionale ?
Le général El Bekri a défrayé la chronique en mettant en cause la résistance du pays face à une éventuelle propagation, dans une tribune du journal Leaders. « La majorité de notre peuple fait fi des mesures d’hygiène les plus élémentaires », écrit-il, avant d’interroger les capacités de mise en quarantaine de quartiers et l’application de procédures rigoureuses. Il agite même le spectre d’un soulèvement général et ses corollaires : vandalisme et pillages.
Le risque de transmission généralisée du virus en Tunisie est jugé faible, celui d’importation considéré moyen. Il est en revanche élevé pour les voyageurs. Les passagers entrants sur le territoire tunisien sont tenus de remplir des fiches où ils renseignent les trois derniers pays visités.
Les mesures prises en Europe face au cas italien sont particulièrement scrutées. Certains prônent d’ores-et-déjà une coopération régionale. « Chacun est préoccupé, voire débordé par sa situation intérieure mais le virus ne connaît pas les frontières », rappelle le Dr Allagui. L’OMS a jugé prématurée le 24 février la déclaration de pandémie. Le cas échéant, des mesures drastiques pourraient être envisagées.
Quels sont les réflexes à adopter ?
Le virus est nommé SARS-cov-2. Des spécialistes évaluent sa durée de vie à trois heures sur surface sèche et jusqu’à six jours sur surface humide. Le taux de mortalité de la maladie qui en découle, le COVID-19, n’excède pas les 4 % en Chine, et les 1 % en dehors. « 80 % des porteurs guériront d’eux-mêmes moyennant des soins symptomatiques », rassure le Dr Hamouda.
En cas de doute, ne pas se rendre à l’hôpital ni chez le médecin pour éviter les risques de propagation : appeler le 190. Si besoin, du personnel du Samu spécialement équipé se rend au domicile des patients suspects.
Le ministère tunisien de la santé a déployé une campagne de communication concernant les réflexes à adopter au quotidien. Des spots diffusés principalement sur les chaînes publiques.
Outre les voyageurs, les personnes jugées à risque sont celles déjà porteuses d’une maladie (cartophilie, insuffisances respiratoires, cancers…), les personnes âgées et les femmes enceintes. Les risques de confondre les symptômes grippaux et ceux du coronavirus devraient s’atténuer au retour du printemps.
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