Quelle menace iranienne ?

Publié le 21 novembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Les dirigeants iraniens sont à l’évidence pris de panique. Non sans raison. Le 6 septembre, Israël a bombardé des installations nucléaires – ou prétendument telles – en Syrie, démontrant du même coup la vulnérabilité des défenses antiaériennes achetées aux Russes. Plus grave, derrière Ehoud Olmert, il y a George W. Bush. En 2003, ce dernier s’en est pris à l’Irak, le grand voisin de l’Ouest, qu’il a tellement dévasté qu’on ne sait s’il s’en remettra un jour. Les deux hommes ont maintes fois affirmé leur volonté d’empêcher l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire. Par tous les moyens, y compris la force. On voit mal ce qui les empêcherait de mettre leur menace à exécution.

L’Iran, en tout cas, n’en a pas les moyens. Bien que riche en pétrole, ce pays de 70 millions d’habitants ne dispose que d’un médiocre PIB per capita : 2 440 dollars. À en croire l’Institut international d’études stratégiques, à Londres, son budget de défense avoisine 6,3 milliards de dollars. C’est un peu plus de la moitié de celui d’Israël et moins de 2 % de celui des États-Unis. Sans doute a-t-il lancé quelques programmes secrets, mais est-il le seul dans ce cas ?
Si les États-Unis décidaient de passer à l’attaque – par des tirs de missiles de croisière et des raids de chasseurs bombardiers, non par une invasion terrestre dont ils n’ont actuellement pas les moyens humains -, l’Iran serait dans l’incapacité de riposter. Sauf en frappant Israël, comme semble le suggérer les récentes menaces du président Mahmoud Ahmadinejad et de ses généraux.
Même dans cette hypothèse, la République islamique ne disposerait que d’un nombre restreint de solutions. Ses forces terrestres et navales, par exemple, ne sont pas adaptées à une telle mission. Peut-être disposent-elles de quelques missiles Shehab III de portée suffisante, mais leur nombre est limité et leur fiabilité incertaine. De deux choses l’une. Soit les missiles iraniens sont équipés d’ogives conventionnelles et leur efficacité a toutes les chances d’être proche de zéro. Soit ils portent des charges non conventionnelles et la riposte serait inévitablement « effrayante et terrible », comme disait l’ancien Premier ministre israélien Itzhak Shamir avant la première guerre du Golfe.
Les forces aériennes sont dans un état pire encore. En 1988, à la fin de la guerre contre l’Irak, la flotte iranienne constituée de vieux appareils américains était à peine opérationnelle. Depuis, les seuls achats à l’étranger ont été – encore le fait n’est-il pas tout à fait avéré – des chasseurs de fabrication russe. Mais, même si ces avions existent, ils ne peuvent atteindre Israël sans un ravitaillement en vol, ce qui les expose à être abattus.
Quoi qu’il en soit, l’Iran ne doit pas être pleinement satisfait des chasseurs bombardiers russes puisqu’il a entrepris d’en construire un par ses propres moyens. Baptisé Saeqeh (« coup de foudre »), l’appareil a été récemment aperçu dans un défilé militaire. Il s’agit d’une version dérivée du F-5 Tiger américain, conçu dans les années 1950 et amélioré une décennie plus tard. L’US Air Force ne l’utilise plus depuis longtemps, mais de nombreux exemplaires en ont été vendus à des pays moyen-orientaux et latino-américains qui n’avaient pas les moyens de s’offrir des avions plus perfectionnés. Le Saeqeh n’est disponible qu’en nombre très limité. Comme les chasseurs russes, il ne peut atteindre Israël qu’avec un ravitaillement en vol. Face à un chasseur moderne, il n’a strictement aucune chance.

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Autre possibilité pour l’Iran : frapper dans la région du Golfe. Le général Mahmoud Chaharbaghi, responsable des missiles au sein des Gardiens de la Révolution, y songeait probablement en affirmant récemment être en mesure de lancer « onze mille missiles en une minute ». Ce qui est simplement ridicule. Si l’on excepte les Katioucha, imprécises et de faible portée, aucun pays ne dispose d’autant d’engins balistiques. Et puis, à quoi bon lancer tous ses missiles en même temps ? À supposer la chose possible, le seul résultat serait de laisser le pays sans défense
Déclencher les hostilités dans le Golfe provoquerait, certes, une flambée des cours du pétrole, mais ne dispenserait pas l’Iran d’être massivement bombardé. Les forces américaines (et alliées) stationnées dans la région sont, en outre, parfaitement en mesure de faire face à la menace des missiles iraniens. Il y a quand même là 40 000 soldats (sans parler de ceux qui combattent en Irak) et deux ou trois porte-avions avec 25 000 hommes à bord ! Dernière possibilité : commanditer des attentats terroristes en Occident. L’ennui est que leur impact stratégique serait à peu près nul. Le plus grand attentat terroriste de tous les temps, le 11 septembre 2001, a-t-il réduit si peu que ce soit les capacités opérationnelles des forces américaines ?
Tout cela ne signifie nullement que les États-Unis et/ou Israël doivent passer à l’attaque sans attendre. D’abord, parce qu’ils ne sont nullement assurés de détruire l’ensemble des installations nucléaires de l’Iran, celles-ci étant très dispersées et bien camouflées (d’autant que l’effet de surprise ne jouera pas). Ensuite, dans l’hypothèse même où ils parviendraient à leurs fins, parce qu’il n’est pas certain que cela serve à quelque chose.

Depuis 1945, des voix s’élèvent, notamment aux États-Unis, pour dénoncer les terribles risques provoqués par la prolifération. C’est le contraire qui est vrai : chaque fois qu’un pays s’est doté de l’arme nucléaire, un conflit de grande ampleur a été évité. Comme nombre de spécialistes avant lui, le général John Abizaid, ancien patron du US Central Command, vient de déclarer que l’existence d’une bombe nucléaire iranienne ne mettrait nullement le monde en péril. Ce jugement doit être pris au sérieux. C’est le meilleur moyen d’éviter que les belliqueuses gesticulations d’un Ahmadinejad ne provoquent, dans le camp d’en face, des réactions parfaitement stupides.

* Professeur d’histoire militaire à l’Université hébraïque de Jérusalem.

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