Quel avenir pour le coton ?

Privatisation chaotique du groupe français Dagris, opérateurs africains à la peine et baisse de la production, la filière est en difficulté. Des paysans aux sociétés d’égrenage.

Publié le 21 novembre 2007 Lecture : 6 minutes.

En reconsidérant le 9 novembre la vente du groupe Dagris, qu’il avait lancée dix mois auparavant, le ministère français de l’Économie et des Finances a levé une sérieuse hypothèque sur l’avenir de l’entreprise et, sans doute, rassuré les milieux cotonniers africains. Ce revirement est à la hauteur du tollé déclenché par l’annonce, le 23 février 2007, de la cession par la France de 64,7 % des parts qu’elle détient dans l’ex-Compagnie française de développement du textile. Sodaco, le consortium retenu à l’époque, avec une offre de 7,7 millions d’euros, était emmené par le fonds d’investissement IDI et la société Sofiprotéol (Lesieur). Attendue de longue date, cette privatisation en avait scandalisé plus d’un, IDI étant suspecté de vouloir racheter l’entreprise pour ses actifs immobiliers, en particulier son siège social situé rue Monceau, à Paris 8e. Quant à Sofiprotéol, elle semblait surtout plus intéressée par les débouchés dans l’huile que par la fibre de coton.
Les contestations n’ont pas faibli au cours des derniers mois. Les salariés réunis dans un fonds commun de placement (Cotdev) représentant 7 % du capital ont déposé plusieurs recours en justice. Les pays producteurs ont, pour leur part, vu dans ce rachat l’éclatement annoncé d’une filière intégrée. On estime qu’entre 2 et 3 millions de ménages cultivent l’or blanc. Bien que située au 5e rang avec 5 % de la production mondiale, l’Afrique de l’Ouest a mis sur le marché près d’un million de tonnes de fibre par an, sur les quatre dernières campagnes. C’est dix fois plus que dans les années 1960 (voir infographie). Outre les producteurs, les sociétés d’égrenage et de commercialisation, ce secteur concerne également des dizaines d’entreprises dans l’agroalimentaire et les services (transport, trading).

Une dizaine de filiales de Dagris en Afrique
Avec plus de quarante participations à travers le monde, Dagris, créée en 1949, est emblématique à plus d’un titre. Elle possède une quinzaine de filiales, dont la plupart se trouvent en Afrique (SN-Citec et Socoma au Burkina, Sodefitex au Sénégal, Soguisea en Guinée, Somecoton en Algérie, Hasyma à Madagascar, Devco au Maroc, Agroléa au Bénin et en Côte d’Ivoire, Nioto au Togo, Sosea et Copaco en France). Elle est par ailleurs actionnaire d’une vingtaine d’autres sociétés parmi lesquelles la Compagnie malienne de développement des textiles (CMDT) au Mali, la Simat au Tchad ou encore Trituraf en Côte d’Ivoire. Paris ne pouvait se permettre de brader Dagris, sous peine de menacer l’ensemble de cet édifice.
« Le fait qu’il y ait à présent un cahier des charges est un point positif. Ce n’était pas le cas en février dernier », estime un professionnel. Les candidats ont jusqu’au 26 novembre pour se faire connaître. La France souhaite, à présent, céder 51 % de ses parts de gré à gré « dans le souci de pérenniser sa contribution au développement de nombreuses économies africaines et d’y associer des intérêts issus de la zone d’intervention de la société ». Le solde du capital (13,7 %) ira à l’Agence française de développement (AFD), chargée de le placer auprès de sociétés cotonnières africaines. Totalement évincées lors de la première opération, celles-ci se voient donc offrir une porte d’entrée. « La première procédure a été menée en dépit du bon sens, dans la totale opacité et au mépris des intérêts des paysans », affirme un proche du dossier. « S’il y a aujourd’hui une volonté beaucoup plus franche de la part des autorités françaises, il ne s’agit encore que de déclarations », ajoute un trader. La société Advens, présente au Sénégal avec Suneor (huile d’arachide), qui a déposé une offre avec caution bancaire près de trois fois supérieure à celle de Sodaco, Sofiprotéol toujours en lice et le groupe Somdiaa – qui fabrique du sucre et de la farine dans plusieurs pays de la sous-région – font aujourd’hui figure de favoris. Ce dernier a d’ailleurs recruté et nommé en septembre dernier l’ancien directeur de la CotonTchad, Ibrahim Malloum, au poste de directeur commercial.
Pour rassurant qu’il soit, ce rebondissement intervient dans un contexte tendu. La situation presse. En plus d’un faible niveau de trésorerie – à peine 15 millions d’euros – et de plusieurs échéances bancaires qu’elle a déjà dû différer, Dagris doit également essuyer une chute de la production de ses filiales. Certes, la crise vécue entre 2003 et 2006 est aujourd’hui passée, et les cours, qui affichaient 70 cents la livre début novembre, alors qu’ils tutoyaient les 30 cents il y a deux ans, se portent beaucoup mieux. « On ne vend plus à perte et nous dégageons une marge », précise Célestin Tiendrebéogo, directeur général de la Société burkinabè des fibres textiles (Sofitex). Mais les sociétés cotonnières ont encore du mal à se remettre de cette secousse. Endettée à hauteur de 38,4 millions d’euros en 2006, la même Sofitex a dû procéder à une recapitalisation d’urgence pour éviter la faillite. De 4,4 milliards de F CFA (6,7 millions d’euros) son capital a été porté à 38,8 milliards de F CFA (58 millions d’euros). Par ailleurs, un rééchelonnement des crédits de la campagne 2005-2006 a été négocié sur cinq ans. De quoi apporter une bouffée d’oxygène. Toutes ne sont pas logées à la même enseigne. En Côte d’Ivoire, la filiale du groupe L’Aiglon de Sidi Mohamed Kagnassi a déposé son bilan en décembre 2006. Au Bénin, la privatisation de la Société nationale de promotion agricole (Sonapra) semblait aboutir, après dix années de tergiversations, au profit de l’homme d’affaires Patrice Talon, principal égreneur privé du pays. Finalement, le gouvernement a stoppé cette vente au début du mois. Pour 240 000 tonnes de graines attendues cette année, les capacités d’égrenage du pays sont de 500 000 tonnes. « Nous perdons beaucoup d’argent, mais nous misons sur une hausse de la production dans un futur proche », espère Patrice Talon.

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Toutes les sociétés sont dans le rouge
Les aléas climatiques avec une alternance de fortes pluies et d’une longue sécheresse ont été particulièrement dommageables. Résultat : les semis très tardifs doivent entraîner une baisse des superficies et des prix d’achat aux producteurs. De fait, alors que sa privatisation est prévue pour 2008 selon un schéma qui accordera 67 % du capital à des opérateurs stratégiques (producteurs, salariés, banques), la CMDT est dans le rouge. L’actuelle campagne ne devrait pas excéder 300 000 tonnes, contre 415 000 l’an passé. Au Togo, elle n’excédera pas 65 000 tonnes, un chiffre très inférieur aux prévisions, qui tablaient sur 160 000 tonnes. Mais c’est au Burkina que les préoccupations sont les plus vives avec une chute annoncée de plus de 40 % de la production, qui se situera entre 330 000 et 350 000 tonnes de coton-graine, contre 700 000 tonnes en 2006-2007. « Les Burkinabè tombent de haut, d’autant qu’ils pensaient atteindre le million d’ici peu », souligne un observateur. Au total, les pays de la zone franc produiront 600 000 tonnes de fibre. La chute est de 41 % par rapport à 2005. « Qu’elles soient bien gérées ou non, toutes les sociétés sont désormais confrontées aux mêmes difficultés », affirme un égreneur.
Entre la fluctuation permanente des prix, les aléas climatiques, les subventions américaines et le blocage toujours patent du dossier au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’avenir repose sur la recherche et la diversification. « La remontée des cours, l’engouement actuel des fonds spéculatifs pour les matières premières agricoles et les besoins en biocarburants sont des éléments positifs. La filière coton peut se positionner et profiter de cette nouvelle donne », explique un opérateur. Certaines pistes concernent le développement du coton bio, à plus haute valeur ajoutée, et équitable, plus rémunérateur pour les paysans. Il y a également la culture OGM, dont les premiers résultats au Burkina, en partenariat avec la firme américaine Monsanto, ont été concluants. « C’est un débat complexe, qui n’est même pas tranché en Europe. Le producteur comme les sociétés devraient s’y retrouver, mais il faut rester prudent, partir des variétés existantes, des pratiques culturales locales, et prendre en compte le principe de précaution », résume un industriel de la filière. Mais en attendant ces évolutions, « des sociétés qui affichaient par le passé une bonne gouvernance, comme la Sodecoton ou la Sofitex, ont des problèmes considérables », conclut-il. Une réalité que les futurs acquéreurs de Dagris devront intégrer dans leur schéma de reprise.

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