Où va l’ANC ?

Le parti de Mandela, sous le choc des ambitions et plus que jamais divisé, élira son président en décembre. De ce choix dépend celui du futur chef de l’État.

Publié le 21 novembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Le président Thabo Mbeki veut une transition sans accroc lorsqu’il quittera ses fonctions en avril 2009. Mais c’est dès la conférence du Congrès national africain (ANC), prévue ces 15-20 décembre, que se jouera l’avenir du parti – et du pays. Le chef de l’État sortant souhaite que son successeur préserve l’héritage sur lequel il s’est efforcé d’imposer sa marque : une économie compétitive ; l’émergence d’une importante classe d’entrepreneurs noirs ; et le repositionnement de l’Afrique du Sud, ancien champion des pays pauvres devenu moteur d’une « renaissance africaine ».
Pourtant, dès le début de son second mandat, son élection, contestée, à la tête du Congrès national africain (ANC) a fait apparaître des divisions au sein du parti. Bien qu’il fût le troisième président d’affilée de l’ANC élu sans opposition (après Oliver Tambo et Nelson Mandela). Mbeki a une nette préférence sur le choix de son successeur, mais dévoiler son identité trop à l’avance risquerait de compromettre les chances de celui-ci. Les semaines précédant l’élection de son président sont donc cruciales pour l’ANC. Trois scénarios semblent d’ores et déjà se dessiner :
– le président Thabo Mbeki décroche un troisième mandat à la tête du parti, mais le choix du candidat de l’ANC à la présidentielle de 2009 est remis à plus tard ;
– un nouveau candidat se fait élire patron de l’ANC et désigner comme son porte-drapeau dans la course à la magistrature suprême ;
– un nouveau candidat devient chef du parti, mais décide de ne pas être lui-même en lice en 2009.
Jacob Zuma s’est imposé comme le favori à la fois pour la présidence de l’ANC et pour l’élection présidentielle de 2009. Mais l’ancien numéro deux du pays doit faire face à de redoutables concurrents : l’ex-secrétaire général de l’ANC, Cyril Ramaphosa ; l’ancien Premier ministre de la province de Gauteng, Tokyo Sexwale ; l’actuel vice-président, Phumzile Mlambo-Ngcuka ; le ministre des Affaires étrangères Nkosazana Dlamini-Zuma ; et l’actuel secrétaire général de l’ANC, Kgalema Motlanthe. Reste aujourd’hui à trouver quelqu’un qui puisse préserver l’unité du parti : beaucoup apporteraient leur soutien à une personnalité de compromis, indépendante de Mbeki et de Zuma.
Avec l’accord des centristes du parti, Mbeki voudrait, dans l’idéal, que le prochain président soit de la même famille idéologique que lui. Et craint, par-dessus tout, l’émergence d’un candidat de gauche. De nombreux militants, eux, souhaiteraient en finir une bonne fois pour toutes avec l’idée inspirée par l’apartheid – et inexacte – que l’ANC est une organisation dominée par les Xhosas. Certains de ses dirigeants sont persuadés qu’il suffirait d’élire un président ne parlant pas le xhosa. Un tel choix enverrait, par ailleurs, un signal fort au nord du Limpopo, où l’appartenance ethnique empêche parfois des hommes de qualité d’accéder à la direction des anciens mouvements de libération.

L’utilisation par Zuma de grosses ficelles ethniques et traditionalistes consterne les dirigeants de l’ANC. Sa stratégie qui consiste à s’entourer de Zoulous – et à les utiliser comme tremplin dans sa conquête de l’ANC – leur fait même froid dans le dos. Mbeki craint, par exemple, que de telles manuvres ne transforment la lutte pour la présidence en une bataille ethnique. Zuma n’a-t-il pas fait des avances aux Afrikaners en leur promettant d’être plus souple que Mbeki ? N’a-t-il pas remis sur la table la vieille idée de la solidarité Zoulous-Afrikaners, que certains éléments du Parti national avaient défendue du temps de l’apartheid, en expliquant que ce pourrait être un moyen de faire échec à l’ANC ? Autre sujet d’inquiétude pour les partisans de Mbeki : la réémergence d’une populiste comme Winnie Madikizela-Mandela, ou de l’ancien Premier ministre du Gauteng, Mathole Motshekga, qui feraient campagne sur les échecs du gouvernement.
Les représentants des milieux d’affaires jouent, eux aussi, un rôle important dans la lutte de succession. Ils sont peu nombreux, mais disposent d’une puissance financière et d’une influence qui pourraient consacrer ou briser un candidat – ce qui est nouveau à l’ANC. Il y a parmi eux Cyril Ramaphosa et Tokyo Sexwale. À la fois riches et populaires, ils peuvent changer la donne. Ces grands patrons souhaitent, en tout cas, quelqu’un qui poursuive la politique économique de Mbeki fondée sur la promotion des entrepreneurs noirs. Ils auraient, sinon, trop à perdre. L’oiseau rare pourrait être même l’un d’entre eux, d’autant que ces personnalités occupent également des positions clés dans les cercles gouvernementaux.
Les candidats qui voudront être pris au sérieux devront se ménager le soutien de places fortes comme le Cap oriental et le KwaZulu-Natal, et avoir un pied dans l’une ou l’autre province ne serait pas inutile. Ils devront aussi bénéficier d’un certain appui à gauche, ne serait-ce qu’en raison du nombre important de militants et des capacités des syndicats en matière d’organisation et de mobilisation populaire.
Les membres de la Ligue de la jeunesse de l’ANC, qui jouaient autrefois un rôle décisif, sont aujourd’hui trop intéressés par l’argent facile pour peser sur l’élection. Il semble que Zuma ait obtenu un soutien important de certaines sections provinciales de cette Ligue. Celle des femmes, jadis très influente, est dans le trente-sixième dessous, et son aile parlementaire n’a plus d’influence aujourd’hui.
Pour l’heure, un soutien officiel de Mbeki n’apporterait pas grand-chose à un candidat, mais un geste du parti pourrait s’avérer précieux. Tout comme, bien sûr, le feu vert de l’ancien président Nelson Mandela.

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* William Gumede est politologue et écrivain. Il est l’auteur de Thabo Mbeki and the Battle for the Soul of the ANC.

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