Occidentaux et Chinois bataillent pour l’Afrique

A la recherche de nouveaux marchés, les constructeurs historiques lorgnent le continent, où ils doivent faire face à des concurrents très offensifs.

Publié le 21 novembre 2007 Lecture : 6 minutes.

Faut-il y voir les prémices des changements majeurs qui attendent les opérateurs de télécoms ? Ces deux dernières années, le secteur des équipements de télécommunications a lui-même connu de profonds bouleversements. Dernier rapprochement annoncé, celui du finlandais Nokia et de l’allemand Siemens, qui ont décidé en juin 2006 de fusionner leurs activités dans les équipements de réseaux de télécoms. Fruit de cette alliance, la coentreprise (joint-venture à 50/50) Nokia Siemens Networks (NSN) emploie 60 000 personnes et pèse 16 milliards d’euros de chiffre d’affaires, une taille lui permettant de faire face aux géants Alcatel-Lucent (alliance France/États-Unis effective depuis décembre 2006) et Ericsson (Suède), qui avait donné le signal de cette vague de concentration en s’alliant dès 2005 avec son concurrent britannique Marconi. Aujourd’hui, cinq géants dominent ce secteur, dont les trois premiers, en particulier, bataillent ferme pour la première place du podium (voir infographie).

Cap sur les pays émergents
Sur le terrain, ils se livrent par conséquent une forte concurrence pour conquérir les millions de dollars qui leur permettront de faire la différence, et tous les marchés peuvent y contribuer. Pour eux, les marchés émergents sont de plus en plus importants. En 2010, selon Gartner Group, un cabinet d’études de marché qui fait autorité, plus des deux tiers des utilisateurs de téléphone mobile, soit 2,6 milliards de personnes sur un total de 3,6 milliards, se trouveront en Asie, en Amérique latine, au Moyen-Orient ou en Afrique. Dès aujourd’hui, pour les opérateurs, un nouveau client sur deux se conquiert dans l’une de ces régions. Et leurs fournisseurs, les équipementiers, sont eux aussi directement intéressés par la croissance de l’activité. « L’Afrique est un marché en pleine croissance. C’est un marché rentable sur lequel nous continuons d’investir beaucoup », estime Philippe Chomel de Jarnieu, directeur commercial Afrique d’Alcatel-Lucent.
Parmi les raisons qui alimentent l’intérêt des constructeurs pour le marché africain figure l’engouement des opérateurs pour les technologies de pointe. Il est d’autant plus grand que les instances internationales, comme la Banque mondiale ou l’Union internationale des télécommunications, font pression pour faire des TIC un outil d’éducation et de formation en Afrique. Des questions techniques interviennent aussi : le plus souvent, les réseaux sont installés sur des terrains vierges, où aucun autre équipement, ou presque, n’existait auparavant. L’Afrique de l’Ouest, compte tenu du fort développement du marché nigérian, est une région qui compte particulièrement dans les perspectives de développement du groupe franco-américain, comme dans celles de ses concurrents. Cisco Systems, NSN et Ericsson, qui a créé, à Dakar, une direction spécifique pour la commercialisation et le suivi de ses produits, sont présents, ainsi que les chinois Huawei et ZTE Corporation.
L’irruption depuis 2003 de ces deux concurrents venus de Chine a cependant quelque peu remis en cause les promesses du marché africain pour les groupes occidentaux. En novembre 2005, leur forte implication dans le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) de Tunis leur a permis d’afficher clairement leurs ambitions. « Le marché africain reste rentable, mais il n’est pas le plus rentable de tous ceux où nous intervenons, car la concurrence des chinois Huawei et ZTE est très forte », explique Michel Clément, directeur Afrique de Nortel Networks, groupe canadien spécialisé dans la conception et la fabrication d’infrastructures de réseaux de télécommunications pour les opérateurs et les entreprises. Notant que la Chine occupe désormais le premier rang des exportateurs de biens dans le domaine des TIC, devant les États-Unis et l’Union européenne, Michel Clément ajoute que « les Chinois remportent la plupart du temps les marchés publics. Ils s’appuient sur une vraie logique industrielle, notamment au niveau des prix : il leur arrive de proposer deux ans de crédit gratuit. »

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Huawei : 100 projets, 62 pays
« Nous sommes entrés sur le marché africain par l’Afrique du Sud en 1998. Aujourd’hui, nous proposons des solutions commerciales sur 90 % du continent », rétorque Fang Liangzhou, directeur stratégie et marketing pour l’Afrique subsaharienne de Huawei. Il précise également que son groupe est présent sur tous les segments techniques, qu’il s’agisse des technologies mobiles, du fixe ou encore de l’Internet à haut débit par câble ou sans fil. Sans dévoiler son chiffre d’affaires, que ce soit en Afrique ou dans le monde, il indique qu’à la fin décembre 2006 Huawei « s’était occupé de plus de 100 projets phares dans 62 pays d’Afrique et avait mis en place plus de 35 000 sites sur le continent ». Outre leurs tarifs, généralement très avantageux, les équipementiers chinois proposent également à leurs clients africains de les former à la fois sur les technologies mais aussi sur les méthodes de gestion chinoises : « Nous avons créé de A à Z quatre centres de formation au Nigeria, au Kenya, en Égypte et en Tunisie. Nous en ouvrons un cinquième en Angola », explique Fang Liangzhou.
De la même façon, s’ils veulent rester dans la course, les fournisseurs d’équipements n’ont d’autre choix que celui de s’adapter à la demande de leurs clients qui veulent « accéder aux technologies de pointe au meilleur prix et tout de suite, sans passer par les différentes étapes de mutation technologique qu’ont suivies les autres opérateurs dans le reste du monde », explique Michel Clément, de Nortel. « Nous sommes très tributaires des exigences des opérateurs », confirme Philippe Chomel de Jarnieu. Une adaptabilité nécessaire que NSN définit comme l’obligation d’exercer désormais un métier différent : « Notre stratégie en Afrique est d’offrir à nos clients des produits qui sont de véritables solutions technologiques afin qu’ils puissent faire face aux défis spécifiques de la région ou du pays dans lequel ils sont implantés », explique Mandy Williams pour NSN. « La chaîne de valeur de nos métiers se modifie en permanence car le marché évolue. De simple équipementier, Nortel est ainsi devenu un fournisseur de solutions et de services », ajoute Michel Clément.
Initié à des fins d’économies d’échelle, le mariage Alcatel-Lucent a également permis au nouveau couple de bien se positionner dans ce domaine des services aux opérateurs : « L’Afrique a logiquement bénéficié des conséquences de notre fusion », indique Philippe Chomel de Jarnieu. Même effet à la suite du rapprochement Nokia-Siemens, le nouvel ensemble ayant dès l’origine annoncé son ambition « de relier au village planétaire les régions les plus reculées d’Afrique ». Pour continuer de marquer des points, les équipementiers devront toujours jouer la carte de l’innovation technologique. Mais pas seulement. « Nous sommes devenus des fournisseurs de solutions clés en main et de bout à bout », rappelle le directeur commercial de la zone Afrique pour Alcatel-Lucent.
Reste cependant quelques domaines où les grands équipementiers sont peu présents, laissant quelques marchés rémunérateurs à de petites sociétés spécialisées, qui apportent des solutions aux opérateurs pour être plus efficaces en matière commerciale. Elles les aident à inventer et à mettre en place de nouveaux services tels que les SMS Premium ou encore le kiosque mobile, sorte de portail Internet simplifié où l’utilisateur a accès à un ensemble de services (informations, téléchargements, etc.). Depuis 2002, des entreprises comme Airweb et GTS Africa, qui s’autoproclame « premier agrégateur africain de solutions », se développent sur le marché africain. Les solutions mobiles qu’elles proposent pour pallier l’Internet fixe enregistrent un franc succès. Implanté au Togo, au Tchad et au Botswana, Airweb prospère en proposant à ses clients du contenu local pour leur portail mobile. « C’est pour cette raison que les opérateurs font appel à nous », explique Xavier Debbasch, son PDG. Pour tenir compte des habitudes des clients, il y a donc autant de développements que de pays, mais c’est une bonne nouvelle, considère le PDG d’Airweb : « C’est très coûteux de faire du très local mais c’est là aussi notre force car c’est un domaine où les grosses sociétés n’investiront pas. » Et, sans doute, même pas les Chinois.

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