Norman Mailer, le dernier des Mohicans

Écrivain, cinéaste et éternel agitateur, l’une des figures de la vie intellectuelle américaine s’est éteinte le 10 novembre.

Publié le 21 novembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Il est couché à plat ventre sur mon bureau, écrasant du torse les piles de manuscrits, les coudes enfoncés dans la paperasse comme s’il allait devoir résister à une tornade, pétrissant dans son poing le combiné du téléphone. À l’autre bout du fil, à New York, Scott Meredith, le redoutable agent que Norman Mailer qualifie lui-même « d’homme de fer » et qui gère ses droits d’auteur dans le monde entier, jusqu’à la dernière image de ses films ou la dernière ligne de ses livres et de ses articles. Mailer lui répète obstinément la même phrase, de sa voix grave et éraillée, mâchant ses mots comme on sait le faire à Brooklyn : « Ce type, je lui fais confiance » (« I trust this man ! »).

Le type, c’est moi, « jeune éditeur » parisien au début des années 1990. Mailer est, lui, au faîte de sa gloire, déjà deux fois couronné par le prix Pulitzer, auteur de l’un des plus grands romans du siècle (Les Nus et les Morts, publié près de cinquante ans plus tôt, inoubliable fresque de l’Amérique en guerre contre les Japonais dans le Pacifique), écrivain boulimique (une quinzaine de ses titres feront date) mais aussi acteur, réalisateur de films, journaliste et fondateur de magazines « branchés » (The Village Voice, en 1955), candidat malheureux à la mairie de New York, défenseur d’un meurtrier récidiviste – Henry Abbott – et lui-même coupable d’un coup de couteau – heureusement non mortel – à la deuxième de ses six épouses, tout à la fois violent et pacifiste, misogyne et féministe, boxeur, buveur, toujours prêt à ouvrir sa grande gueule pour défendre les droits civiques et les Noirs victimes du racisme, en première ligne contre la guerre du Vietnam, en première ligne toujours et partout où l’entraîne une générosité sans limite.
Je lui ai donné l’idée et l’envie d’écrire un portrait de Picasso. Il a fait le livre et il est venu me l’offrir à Paris, septuagénaire dévalant gaiement son piédestal pour venir frapper à la porte d’un éditeur étranger quasi inconnu, au mépris de ses engagements contractuels antérieurs et surtout de toutes les règles de bonne gestion de sa cote et de ses intérêts. Pour Mailer, c’est comme cela qu’on doit se conduire. Ce sera, quelques années plus tard, le Portrait de Picasso en jeune homme, un livre qui ne compte certes pas au nombre des chefs-d’uvre de Mailer mais qui manifeste la fascination qu’il n’a cessé d’éprouver, en quatre-vingt-quatre années de vie et six décennies d’écriture, pour des êtres d’exception aussi différents que Marilyn Monroe (Mémoires imaginaires de Marilyn), l’assassin de son assassin, John Fitzgerald Kennedy (Oswald, un mystère américain), le boxeur Mohammed Ali (Le Combat du siècle) et même Jésus-Christ (L’Évangile selon le fils) ! Sans oublier bien sûr le dernier, Un Château en forêt, premier volume d’une trilogie annoncée consacrée à Adolf Hitler, cette incarnation du diable, que Mailer, immense écrivain qui n’en était pas moins resté un petit juif râblé n’ayant jamais renoncé aux rixes de bistrot, avait choisi d’attaquer par les couilles – celles du père incestueux du futur dictateur et celles du petit Adolf lui-même, nanti d’un seul testicule – sans vouloir admettre qu’il n’avait peut-être plus la forme

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Pour la plupart de ses critiques, cet ouvrage aura en effet été « le livre de trop » d’un Mailer diminué par les soucis et presque paralysé par l’arthrite. Si tel est le cas, Norman ne s’en sera pas moins montré une fois de plus fidèle à lui-même dans l’excès, luttant jusqu’au bout pour que George W. Bush, la dernière cible de ses sarcasmes, ne reste pas seul à incarner l’Amérique dans un monde dont il a lui-même, mieux que quiconque, su dénoncer les injustices et brosser les tumultes.

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