[Analyse] Aide au développement et paradis fiscaux, de curieuses corrélations
Dans une étude publiée sur son site le 18 février, la Banque mondiale s’est penchée sur les déboursements de l’aide au développement à destination de 24 pays et les transferts depuis ces États vers des paradis fiscaux.
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Joël Té-Léssia Assoko
Joël Té-Léssia Assoko est journaliste spécialisé en économie et finance à Jeune Afrique.
Publié le 4 mars 2020 Lecture : 2 minutes.
D’ordinaire, peu d’activités intellectuelles demandent autant d’efforts pour aussi peu d’impact immédiat que les études économiques. Des chercheurs expérimentés, de la BCEAO au FMI, se sont échinés à évaluer scientifiquement le franc CFA sans influencer le débat public ni les choix politiques. Ces dynamiques peuvent parfois changer.
En 2010, l’article Growth in a Time of Debt (La croissance en temps de dette) des professeurs Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (ancien économiste en chef du FMI) arguait d’une causalité négative entre l’endettement d’un pays et sa croissance économique. Il devint rapidement la pierre angulaire intellectuelle des politiques d’austérité budgétaire en Occident, avant qu’une contre-analyse des données, en 2013, relève de sérieuses erreurs de calcul dans le fichier Excel utilisé…
« Captation » de l’aide
Ce sort frappera-t-il également Captation de l’aide étrangère par l’élite : analyse des comptes bancaires offshore, une étude en anglais publiée le 18 février sur le site de la Banque mondiale ?
Téléchargée 20 000 fois en dix jours – un record –, elle fait une analyse croisée des déboursements de l’aide au développement de la Banque mondiale à destination de 24 pays (dont l’Albanie, la Côte d’Ivoire, la Gambie, la RDC et le Sénégal) et des transferts depuis ces États vers des paradis fiscaux (Panama, Macao, Luxembourg…), recensés par la Banque des règlements internationaux (BIS).
Après une batterie de tests statistiques censés éliminer facteurs exogènes (guerres, catastrophes naturelles, crises financières…) et interprétations sans « robustesse », les auteurs concluent que « durant un trimestre où un pays reçoit une aide équivalente à 1 % du PIB, ses dépôts dans des paradis fiscaux augmentent de 3,4 % par rapport à un pays ne recevant pas d’aide […] ; en revanche, il n’y a pas d’augmentation des dépôts dans des [places financières ordinaires] ».
Selon ces chercheurs – dont l’un, Bob Rijkers, docteur en économie d’Oxford, est employé de la Banque mondiale –, la seule explication raisonnable est « la captation de l’aide par les hommes politiques au pouvoir, les bureaucrates et leurs acolytes ».
Sinon, comment comprendre que « les sorties de capitaux se produisent précisément durant le même trimestre que les entrées d’aide » et pourquoi « les effets estimés sont plus importants pour les pays plus corrompus ». Cette analyse utilise les données confidentielles de la BIS sur les flux bilatéraux entre pays récipiendaires de l’aide et paradis fiscaux identifiés.
Cette confidentialité complique sa reproduction et sa « réfutabilité ». Il aurait également été utile de connaître les périodes couvertes par pays, afin d’évaluer les conséquences éventuelles des alternances politiques. Avant sa publication, l’étude avait déjà engendré une polémique, en raison de sa concomitance avec l’annonce du départ de Penny Goldberg, économiste en chef de la Banque mondiale. Coïncidence ou corrélation ?
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