[Tribune] Hervé Bourges, un éléphant en or massif

Surnommé « Bourges l’Africain » par certains, l’ancien président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) aura marqué l’histoire de la presse par son talent et sa ténacité.

Hervé Bourges, lorsqu’il était président du Conseil supérieur de l’audiovisuel français. © DR / CSA

Hervé Bourges, lorsqu’il était président du Conseil supérieur de l’audiovisuel français. © DR / CSA

Jacques Fame Ndongo

Publié le 28 février 2020 Lecture : 3 minutes.

Hervé Bourges a vécu. Parlez-moi d’un « tsunami » dans le monde palpitant et haletant des médias classiques ou cybernétiques. Il a vécu. Mais son regard pétillant, son verbe délicieux et sa plume envoûtante caressent, avec splendeur, chaleur et ferveur, nos cœurs bouleversés et nos esprits flagellés.

Sa personnalité autoritaire mais sympathique, tenace, mais flexible quand il le fallait, ferme mais avenante, aura marqué l’histoire tumultueuse et exaltante de la presse universelle et éternelle. C’était un communicateur multidimensionnel et phénoménalement doué.

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Héros légendaire

Il n’avait pas de Jean Lacouture – qui savait « coudre les mots » avec une aisance étincelante -, l’érudition déconcertante, la plume incandescente, le verbe incantatoire. Il n’avait point, d’Hubert Beuve-Méry ou d’André Fontaine, l’écriture à la fois majestueuse et méthodique. Il n’avait guère, de Simon Malley, de Béchir Ben Yahmed, de Françoise Giroud ou de Pierre Viansson-Ponté, l’inspiration fertile, enracinée dans les spasmes de l’Histoire. Une Histoire de l’instant – tel est le champ d’action du journaliste – qui, ossifiée avec le temps, devient l’Histoire tout court. L’Histoire d’antan, excusez la tautologie.

Mais, mieux que tous ces monstres sacrés, c’était un être de légende, sans être un héros légendaire, que l’on ne rencontre que dans les contes de fées ou au détour d’une grâce, rarissime, de l’Histoire.

Dans la flore luxuriante de la France, de l’Afrique et du monde, Bourges était un chêne ou un baobab

Un être de légende, oui. La légende du fondateur et du créateur, à la dimension humaine – et pas divine. Fondateur d’El Moudjahid en Algérie, il fut aussi le créateur de l’École supérieure internationale de journalisme de Yaoundé devenue, depuis lors, l’École supérieure des Sciences et techniques, de l’Information et de la communication, au sein de laquelle un amphithéâtre porte fièrement son nom. Manager de plusieurs chaînes de télévision et de radiodiffusion en France, il compte parmi les gestionnaires les plus rigoureux du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

« Bourges l’Africain »

Revenons à l’Histoire : affectueusement, d’aucuns l’avaient surnommé, avec admiration, « Bourges l’Africain ». Non pas, à la manière, goguenarde, voire cynique, par laquelle l’on a coutume d’évoquer Scipion l’Africain, ce général de l’Antiquité romaine qui brisa à Zama, en Numidie [la Tunisie actuelle], le rêve épique du célèbre général carthaginois, Hannibal, qui, en 216 avant J.C., fut sur le point de dominer Rome, c’est-à-dire le monde.

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Il infligea de cinglantes défaites à la prestigieuse cité italienne : à Sagonte (219 avant J.C), à Tessin et à Trebbie (218 avant J.C.), au lac Trasimène (217 avant J.C.), à Cannes (216 avant J.C.). N’eût été la faute fatale de Capoue (où il attendit des renforts, en se délectant des « délices » de cette ville féerique), nul doute que la face du monde eut été bouleversée. Hervé Bourges, lui, bouleversa la face du monde de la presse. La médiasphère lui en sait gré.

Dans la flore luxuriante de la France, de l’Afrique et du monde, Bourges était un chêne ou un baobab. Non pas un chêne « qu’on abat », selon le livre d’André Malraux, mais un chêne qui se déchaîne, parfois. Un chêne qui, jamais, n’enchaîne ni s’enchaîne. Un chêne qui brise, toujours avec audace, les chaînes de la pusillanimité, de la félonie, de la couardise ou de la flagornerie. Un chêne qui abhorre tout embastillement de la Lumière. La Lumière du journalisme authentique, du talent scintillant, de la personnalité déterminée et chatoyante.

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Imagination fertile

J’avais fait sa connaissance en 1970, dans une salle de cours de l’École supérieure de journalisme de Lille. Il était venu nous entretenir, en compagnie de Pierre Mauroy, alors maire de la « capitale » du Nord, sur les tenants et les aboutissants des événements historiques de « mai 68 » en France.

Il me fascina par la simplicité, la clarté et la pertinence de ses propos. Je subodorai que, sous ce trentenaire incisif, se cachait un gladiateur à l’imagination fertile, à la volonté féroce, voire vorace, et à la mémoire d’éléphant. D’où la multitude, la densité et la perspicacité de ses ouvrages sur l’Afrique, les médias et la vie, dont le célèbre De mémoire d’éléphant.

Je constate, 50 ans après – comme Les 50 Afriques, l’un de ses tout premiers essais -, que je ne m’étais pas trompé. Le trentenaire freluquet et filiforme était devenu, grâce à sa compétence et à sa ténacité, un « éléphant en or massif ».

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