Malek Chebel : « J’ai voulu briser le silence »

Publié le 21 novembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique : Pourquoi ce livre, et pourquoi maintenant ?
Malek Chebel : C’est une question qui me tenait à cur depuis longtemps. Pour écrire mes livres, je constitue des dossiers richement documentés. La prise de conscience, tardive, hélas, du phénomène de l’esclavage dans le monde islamique m’a laissé penser que l’opinion était assez bien préparée. Compte tenu de la surface que j’ai acquise dans le domaine des études sur l’islam, je me suis dit : c’est un discours qui peut passer maintenant.

Est-ce que ce discours passe effectivement ? Il semble qu’il crée beaucoup de gêne.
S’il dérange, c’est que je touche quelque chose de fondamental et de vrai. C’est qu’il y a encore des esclaves. Tant mieux donc si mon livre gêne, car j’ai voulu briser l’opacité qui entoure cette question de l’esclavage.

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Avez-vous eu vent de réactions hostiles ?
Il y a eu un mouvement dans les chancelleries arabes, qui a été vite éteint. Ils ont compris que, médiatiquement parlant, cela aurait été très mauvais pour eux d’enclencher une offensive.

Les médias vous suivent-ils ?
Je constate une gêne, une retenue de leur part, ici, en France. Les journalistes sont circonspects. Ils ne savent pas comment prendre l’information.
Au Maghreb, mis à part un papier, en août, donc avant la sortie du livre, dans Le Quotidien d’Oran, c’est motus et bouche cousue. Même au Maroc, d’habitude plus ouvert, aucun écho dans les médias non plus. En clair, il y a un blocage maghrébin.

Dans quels pays l’esclavage a-t-il gardé le plus de réalité ?
L’esclavage est encore sensible en Mauritanie. Mais l’État fait des efforts assez importants pour se débarrasser de cet héritage scandaleux. Le phénomène des petites bonnes au Maroc est aussi à prendre en considération. Un secrétariat d’État a d’ailleurs été créé pour recenser les jeunes filles et leur donner un statut. Il y a évidemment tout un esclavage invisible dans les monarchies et les sultanats du Golfe. À quoi s’ajoute, dans les mêmes pays, un nouvel esclavage économique. Dans l’Afrique moyenne, au Mali, au Tchad et ailleurs, subsistent de multiples formes d’esclavage, liées cette fois à la pauvreté. On m’a parlé de vente d’enfants ici ou là. Il faut mentionner également les intouchables en Inde.

Vous décrivez la société touarègue comme l’une des pires sociétés esclavagistes
Les rapports esclavagistes ont été à peu près maintenus. Il y a, bien sûr, eu une atténuation avec l’apparition des États-nations dans les cinq pays africains où vivent les Touaregs. L’existence d’une police nationale, d’une justice relativement distincte des ethnies et des oligarchies est un progrès incontestable. Mais, sous cape, les aristocrates touaregs sont toujours des aristocrates et les esclaves, les harratine, sont toujours leurs serviteurs.

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Pourquoi les mentalités évoluent-elles si lentement ?
Parce que tout le monde, à commencer par les élites religieuses, se tait. Quand on pose la question, on dit qu’il y a bien d’autres problèmes tels que la pauvreté, les maladies. Moi, je dis : sur le plan moral, ce n’est pas acceptable en 2007 qu’il y ait encore des esclaves.

Comment expliquer ce silence dans le monde arabo-musulman ?
Pour beaucoup de gens, l’esclavage, ça n’existe pas. Même quand tu dis à un esclavagiste : « Tu as des esclaves. » Il te répond : « Mais non, ce sont mes enfants adoptifs. Je les aime comme mes fils. »

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On dit aussi que l’esclavage dans le monde arabe n’a rien à voir avec l’esclavage occidental
C’est vrai que la traite négrière occidentale était strictement économique, puisqu’elle consistait à transporter des Africains dans les plantations en Amérique, alors que l’esclavage oriental était plus diversifié. Les captifs étaient utilisés dans l’agriculture, mais aussi comme soldats ou pour servir dans les palais.
Si la traite occidentale a duré moins de quatre siècles, la traite orientale s’est étalée sur quatorze siècles, puisque j’en situe les débuts avec la naissance de l’islam. Le fait que le phénomène soit dilué dans le temps et qu’il n’y ait pas eu de bateau négrier donne le sentiment que c’est différent. Le volume total de l’esclavage dans le monde arabo-islamique atteint pourtant, selon les estimations les plus sérieuses, les 20 millions, soit plus que le nombre d’Africains déportés dans les Amériques. Alors, pour moi, aujourd’hui, c’est pareil.

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