Magique Modiano

Publié le 21 novembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Cette année encore, la remise des grands prix littéraires français s’est accompagnée de son lot de polémiques. On s’est étonné, en particulier, que le Renaudot soit décerné à un ouvrage (Chagrin d’école, de Daniel Pennac, paru chez Gallimard) qui ne figurait pas dans la sélection finale et dont l’un des principaux mérites était de plaire au grand public, puisqu’il caracolait déjà en tête des palmarès, avec plus de 100 000 exemplaires vendus. Ce qui n’est pas blâmable en soi, mais ne constitue en rien une garantie de qualité. Et que dire du Médicis, attribué au journaliste Jean Hatzfeld pour La Stratégie des antilopes (Le Seuil), troisième volet d’une trilogie sur le génocide de 1994 au Rwanda, qui est tout sauf de la fiction ?
Loin de ces controverses (certains parlent de combines) dont les tenants et les aboutissants n’ont pas grand-chose à voir avec la chose littéraire, il est un auteur qui, poursuivant son bonhomme de chemin, se place au-dessus de la mêlée. Et pour cause. Lauréat 1978 du Goncourt avec Rue des boutiques obscures (Gallimard), Patrick Modiano – puisqu’il s’agit de lui – ne peut pas obtenir ce prix une deuxième fois.
Mais la particularité de cet écrivain est que chacun de ses livres, et il en a près d’une trentaine à son compteur depuis La Place de l’Étoile (Gallimard, 1968), ne suscite pratiquement que des commentaires flatteurs. Pour ne pas faillir à la tradition, Dans le café de la jeunesse perdue (Gallimard), sorti en septembre dernier, a reçu un accueil enthousiaste de la critique. Ce qui fait que le roman, tiré au départ à 60 000 exemplaires, a fait l’objet de deux retirages de 20 000 exemplaires chacun en deux semaines et s’était déjà ainsi autant vendu à la mi-octobre (plus de 100 000 exemplaires) que les titres précédents tels que Accident nocturne ou La Petite Bijou (Gallimard 2003 et 2001).
Le livre nous ramène dans le Paris des années 1960, lorsqu’une certaine bohème se retrouvait au Condé, un café du quartier de l’Odéon. Parmi les habitués, un étudiant de l’École des mines, un ancien policier, un apprenti écrivain et une jeune femme peu diserte, Youki. Tous quatre interviennent à tour de rôle comme narrateurs.
Le récit tourne autour de la figure énigmatique de Youki, dont on apprend bientôt qu’elle a quitté son mari. Plus tard, on découvre qu’elle s’est suicidée. Pourquoi ? Par touches successives, l’auteur apporte quelques éléments d’explication (enfance déchirée, mariage sans amour, amitiés féminines ambiguës, rencontre avec la drogue). Mais pas trop, car, chez Modiano, les individus gardent toujours leur part de mystère.
Cet écrivain sait comme personne créer une ambiance originale, toujours un peu la même au demeurant. Paris est son unique décor. Les descriptions qu’il en fait sont souvent très précises, d’autres fois complètement floues. Dans ces espaces incertains se meuvent des personnages interlopes, porteurs de secrets indéchiffrables, de vérités inavouables. Deux thèmes majeurs parcourent l’uvre de ce romancier né en 1942 d’un père juif d’origine italienne vivant de trafics véreux et d’une mère belge, actrice de cinéma : la quête de l’identité (à commencer par la sienne) et celle de l’impuissance à comprendre les désordres de la société.
Même s’ils peuvent donner l’impression de tous se ressembler, on se laisse chaque fois prendre à la magie des romans de Modiano. Mots simples, phrases courtes, rythme alerte, quelques facilités stylistiques telles que l’utilisation récurrente de la forme auto-interrogative, et, hop, le tour est joué. Cela peut paraître simple, et, pourtant, c’est la littérature dans toute sa splendeur.

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