Le spectre de l’abstention

Les autorités veulent faire des élections locales du 29 novembre une « fête démocratique ». À en juger par le début de campagne, la partie est loin d’être gagnée !

Publié le 21 novembre 2007 Lecture : 4 minutes.

L’Algérie est à nouveau en campagne électorale. Deux électeurs sur trois ayant boudé les urnes lors des législatives du 17 mai, administration et partis politiques, encore traumatisés, ne ménagent pas leurs efforts pour convaincre les abstentionnistes potentiels de l’importance des élections locales du 29 novembre.
La première assure avoir mobilisé tous ses moyens pour faire du scrutin une « fête démocratique », comme le dit Yazid Zerhouni, le ministre de l’Intérieur. Une manière de se disculper par avance dans l’hypothèse d’une nouvelle déconvenue en matière de participation ?
Les seconds sillonnent le pays, de meeting populaire en conférence régionale, pour « vendre » leurs candidats, qui briguent la direction des 1 541 communes et des 48 wilayas (départements) que compte le pays. Une cinquantaine de partis – des coquilles vides, pour la plupart – avaient participé aux législatives. Cette fois, seulement une vingtaine de formations sont en lice. Désireux d’éviter un désastreux éparpillement des voix, le gouvernement, soutenu par l’ensemble de la classe politique, a en effet amendé le code électoral. Désormais, pour être autorisé à présenter une liste, un parti doit avoir recueilli au moins 5 % des suffrages exprimés lors des précédentes consultations. Est-ce le bon moyen de lutter contre l’abstention ? On verra bien. Mais le médiocre succès des meetings électoraux et l’inconsistance de la majorité des discours qui y sont prononcés n’incitent pas à l’optimisme.
La première semaine de la campagne a été marquée par une polémique entre l’administration et les partis de l’Alliance présidentielle (FLN, RND et MSP). Les seconds reprochent à la première d’avoir négligé de mettre place une commission de surveillance des élections. Réponse cinglante de Zerhouni : « Les partis contrôlent le processus électoral de bout en bout. Ils sont présents au moment du vote, assistent au dépouillement, cosignent le procès-verbal et en gardent une copie. Pourquoi s’encombrer d’une commission ? Si les partis en veulent une, qu’ils la constituent, mais il n’est pas question que le Trésor public soit mis à contribution. »
C’est paradoxalement le Front de libération nationale, dont le secrétaire de l’exécutif, Abdelaziz Belkhadem, est chef du gouvernement, qui a été le premier à demander la création d’une telle commission. Comme s’il doutait de la neutralité de l’administration qu’il dirige ! Il a été promptement rejoint par son partenaire islamiste, le Mouvement de la société pour la paix (ex-Hamas). Cette cacophonie a peu de chances de contribuer à la lutte contre l’abstention.
Signe de bonne santé démocratique, les médias audiovisuels, exclusivement publics, sont largement ouverts à toutes les obédiences politiques : clips vidéo, sujets au journal télévisé de 20 heures, etc. Majorité et opposition disposent, pendant la campagne, d’un temps de parole rigoureusement égal. L’ordre de passage est déterminé par tirage au sort, sous les auspices de la direction des libertés publiques du ministère de l’Intérieur. Et en présence d’huissiers de justice.
Deux partis se distinguent par leur dynamisme. Leader de l’opposition au Parlement (avec 29 députés), la trotskiste Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), abat un travail de terrain considérable. Mais son discours dérive de plus en plus ouvertement vers un souverainisme qui doit faire se retourner dans sa tombe le très internationaliste Léon Trotski ! « Votez pour nos candidats, répète à l’envi Hanoune, c’est faire barrage aux privatisations, au bradage des entreprises publiques au profit des mafias locales et du capital international. » Ni l’accord d’association avec l’Union européenne ni l’adhésion de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ni même les accords bilatéraux de libre-échange ne trouvent grâce à ses yeux : « Tout ce que prépare ce gouvernement ne vise qu’à assujettir notre pays, à le contraindre à renoncer à sa souveraineté économique. » Souverainiste ou pas, le Parti des travailleurs peut se targuer d’être celui qui présente le plus de candidates. S’agissant d’un scrutin local dans lequel les tendances conservatrices de la société s’expriment plus aisément, ce choix témoigne d’un indéniable courage politique.
Patron du Rassemblement national démocratique (RND), l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia fait lui aussi feu de tout bois. Il tiendra pendant la campagne pas moins de trente meetings, dans la quasi-totalité des régions du pays, contre quatre pour Abdelaziz Belkhadem, le frère ennemi du FLN, et une dizaine pour l’islamiste Bouguerra Soltani, leader du MSP. Bien que se réclamant du programme du président Bouteflika, Ouyahia critique vertement sa mise en uvre par le gouvernement Belkhadem, qu’il accuse, sans jamais le nommer, de populisme, d’incompétence, de manque d’autorité et de faiblesse face aux pressions des lobbies, nationaux et étrangers. Surtout, il ne lui pardonne pas la remise en cause d’un certain nombre de décisions prises à l’époque (mai 2003-mai 2006) où il dirigeait le gouvernement.
Si Ouyahia concentre ses attaques contre Belkhadem, c’est évidemment que FLN et RND chassent sur les mêmes terres électorales : les voix nationalistes. Depuis les élections générales de 1997, les deux partis se disputent le titre de première force politique du pays et se livrent à un chassé-croisé à la tête du gouvernement. Obnubilés par leur rivalité, ils ne prennent peut-être pas assez garde à l’ascension fulgurante d’un troisième larron : le Front national algérien (FNA), de Moussa Touati. Celui-ci compte déjà une vingtaine de députés et menace équitablement les positions du FLN et du RND.
Comme Ouyahia, la plupart des candidats s’efforcent avec application de « coller » au chef de l’État afin de recueillir quelques miettes de sa popularité. D’un meeting à l’autre, le décor est presque toujours dominé par un immense portrait de « Boutef ». Islamistes ou laïcs, nationalistes ou républicains, tous développent à peu près les mêmes thèmes : élargissement des prérogatives (notamment financières) des élus locaux, lutte contre la corruption, redistribution de la richesse nationale et développement harmonieux des régions. Bref, rien de nouveau sous le soleil algérien. Pas de quoi, en tout cas, remobiliser les abstentionnistes du 17 mai

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