L’eldorado arabe

De plus en plus de jeunes cadres maghrébins choisissent Dubaï pour y faire carrière. Avec ambition et lucidité.

Publié le 21 novembre 2007 Lecture : 3 minutes.

« Je suis arrivé à Dubaï il y a deux ans, et tout est allé très vite », se souvient Younès. Ce banquier d’affaires marocain de 34 ans, qui travaille pour une grosse institution financière émiratie, a rencontré sa patronne, une Libanaise, dans les salons d’un hôtel cossu de New York. « J’étais cadre à la Banque commerciale du Maroc, et nous participions tous les deux à une conférence. Elle est venue me voir et m’a proposé de rejoindre son équipe, avec, à la clé, un salaire mirobolant. Je lui ai expliqué que je n’étais pas intéressé, que le Golfe ne m’attirait pas. Nous avons quand même échangé nos cartes de visite » À son retour à Casablanca, il trouve dans sa boîte aux lettres un billet d’avion, une invitation à l’hôtel – le Hyatt Regency – et, sur papier libre, cette annotation manuscrite : « Acceptez, cela ne vous engage à rien et vous pourrez juger par vous-même. » « J’ai voyagé en première classe sur Emirates. À mon arrivée, une Limousine m’attendait. J’ai découvert un autre monde, à des années-lumière de mes préjugés sur les pays du Golfe. Bref, j’ai signé tout de suite, et je ne le regrette absolument pas. »
L’histoire de Younès n’a rien d’original. Comme lui, chaque année, plusieurs dizaines de cadres maghrébins à fort potentiel, des trentenaires issus, souvent, des meilleures écoles d’ingénieurs ou de commerce françaises et parfois américaines, sont « chassés » par les sociétés opérant dans la banque, le conseil, le marketing ou les nouvelles technologies. « L’aspect matériel compte énormément, admet Fayçal, marocain, ancien d’HEC Paris (Hautes Études commerciales) et lui aussi banquier. La rémunération est forte et évolutive, la fiscalité dérisoire. Et si vous êtes en zone franche, vous ne payez pas d’impôts. La vie nocturne, foisonnante, n’a rien à envier à celle de Londres. Il ne faut pas se mentir, la plupart des gens viennent ici pour gagner de l’argent et rouler dans des grosses voitures. Mais une fois installés, leur regard change. Ils découvrent une ville pleine d’énergie, en perpétuel mouvement. Le dynamisme des entreprises est hallucinant. On a le sentiment d’être au centre du monde, au cur de la mondialisation. C’est grisant. »
Résultat, les cadres maghrébins, dont le profil trilingue (anglais, arabe, français) reste très apprécié, sont de plus en plus nombreux à prendre racine. Sélima est tunisienne. Née en banlieue parisienne, diplômée de Sciences-Po, elle travaille dans une société internationale de conseil. « La France, je l’ai quittée parce que je l’aimais, parce que j’ai eu la faiblesse de croire en ses valeurs : l’universalisme, l’égalité républicaine. Mais, à compétences égales, je passais toujours en second. Ici, tout va plus vite pour nous. Venir à Dubaï, c’est donner un formidable coup d’accélérateur à sa carrière. Je sais que si je rentre en France, désormais, on me regardera différemment. » Désir de revanche ? Juste de l’amertume.

Leïla, Marocaine de Casa, manager marketing dans une multinationale américaine spécialisée dans les cosmétiques, a étudié en France et a débuté sa carrière à Londres, car elle ne voulait pas « ramper pour obtenir une carte de séjour ». Dubaï, où un poste se libérait, s’est imposé à elle naturellement. Elle ne se voit pas rentrer prochainement au Maroc, où les perspectives de carrière sont « moins excitantes ». Ce qui ne l’empêche pas de porter un regard lucide sur son environnement : « La façade est cosmopolite mais en réalité chacun vit dans sa bulle et les rapports humains sont superficiels. Et puis, il y a l’envers du décor : la situation choquante des ouvriers indo-pakistanais ou des employées de maison philippines. Et la condition des femmes locales, qui pensent être plus émancipées que les Saoudiennes, mais restent encore enfermées dans le carcan wahhabite »
Condensé de contradictions et de paradoxes, Dubaï est à la fois futuriste et moyenâgeuse. Mais pour les cols blancs maghrébins, l’émirat est d’abord un symbole. Celui d’une réussite flamboyante. Celui d’un monde arabe enfin réconcilié avec le succès. Et avec l’avenir.

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