Hu Jintao 2

Même si le 17e congrès du PC a reconduit sans surprise le président et confirmé les orientations qu’il a défendues lors de son premier mandat, la « ligne » suivie ne s’en trouve pas moins infléchie. Explications.

Publié le 21 novembre 2007 Lecture : 7 minutes.

Plus ça change, plus c’est la même chose Telle était l’impression dominante à propos des évolutions politiques et économiques de la Chine au lendemain du 17e congrès du Parti communiste (PC), qui s’est déroulé du 15 au 21 octobre, à Pékin. Reconduit sans surprise, le 22 octobre, à la tête du PC pour un deuxième mandat de cinq ans, Hu Jintao, 64 ans, par ailleurs président de la République, a confirmé dans son discours devant les délégués du Parti les orientations « modernistes » en économie et « conservatrices » en politique qu’il défend depuis sa première nomination au poste suprême en remplacement de Jiang Zemin. De même, les dernières nouvelles sur le front du développement incitent les observateurs à considérer que tout, dans l’ex-empire du Milieu, relève ces temps-ci de la pure continuité.
Alors qu’on s’apprête à fêter, en 2008, le trentième anniversaire du lancement par Deng Xiaoping de la politique de développement accéléré grâce à son ouverture à l’extérieur et à la « libéralisation » de l’activité économique sur le mode « capitaliste », les performances chinoises semblent prouver ces derniers temps à quel point les priorités sont toujours les mêmes. Côté économie, la fameuse croissance à 10 % par an, sans aucun véritable répit depuis 1978, n’évolue plus aujourd’hui que pour battre son propre record : fin 2007, peut-on déjà affirmer, c’est plus de 11 % de progression du PIB qu’affichera la Chine pour les douze mois écoulés.
Un résultat qui devrait permettre au pays de devenir rapidement la troisième économie du monde, rattrapant l’Allemagne, après avoir récemment dépassé la France et le Royaume-Uni. Cela sans que la confiance des investisseurs ne soit « refroidie » par cette sorte de fuite en avant, si l’on en juge par le succès des introductions en Bourse des principales sociétés contrôlées par l’État. La récente mise sur le marché sur la place de Shanghai du titre PetroChina – la principale entreprise pétrolière du pays – l’a encore confirmé. Les acheteurs se sont rués sur les actions disponibles – à peine 3 % du capital pourtant, ce qui ne confère aucun pouvoir aux actionnaires -, permettant ainsi à la compagnie d’afficher la plus grande capitalisation de la planète (1 000 milliards de dollars !), juste devant le géant américain Exxon. PetroChina ne figurant même pas dans les cinquante premières entreprises du monde en termes de chiffre d’affaires, on peut imaginer le pari optimiste des investisseurs sur l’avenir de la croissance de l’économie locale. Plus significatif encore : cinq des dix plus grandes capitalisations boursières mondiales sont désormais le fait de sociétés chinoises, contre trois pour des américaines.
Quant au lancement d’une sonde d’exploration spatiale vers la lune pour préparer le premier voyage d’un Chinois vers notre satellite prévu dans à peine plus d’une dizaine d’années – alors même que les Européens eux-mêmes n’ont toujours pas de projet précis dans ce domaine pour égaler la performance américaine des années 1960 -, il ne fait que souligner à quel point le développement du pays concerne désormais quasiment tous les secteurs et toutes les activités humaines. Loin de n’être que « l’usine du monde », comme on le dit si souvent et pour l’essentiel à raison, le nouveau grand dragon de l’Asie est aussi devenu un géant scientifique et technologique.
Donc, « business as usual » à Pékin à l’orée de 2008 avec la poursuite du développement tous azimuts dans une ambiance de glaciation politique ? Bien entendu, aucun changement véritablement radical ne peut être décelé dans la conduite des affaires et la stratégie suivie par Pékin dans tous les domaines alors que commence le nouveau règne de Hu Jintao. Mais, avec un peu de recul, une analyse attentive de ce qui vient de se passer en Chine, tout particulièrement au Congrès du Parti, conduit à fortement nuancer le diagnostic : le paquebot Chine, comme tout navire de grande dimension qui a déjà une direction, ne prend pas de virage serré, mais il infléchit aujourd’hui son parcours de façon non négligeable. Qu’il s’agisse de la nature du régime politique et ses règles de fonctionnement ou de l’idéologie – la « ligne », aurait-on dit autrefois – qui inspire la stratégie des dirigeants, il y a du nouveau, et même de l’inédit.

Certes, les commentateurs ont tous souligné que, malgré les espoirs placés en 2002 par certains dans l’avènement de Hu Jintao pour démocratiser le système politique, le Congrès n’a rien décidé pour favoriser sérieusement un tel changement : aucun pas en direction du « one man, one vote » ou du multipartisme n’a été enregistré. Mais, du coup, on a oublié de relever qu’au sein du système de parti unique on a commencé à élire au niveau local une proportion grandissante des délégués au Congrès. Une façon d’habituer les membres du PC à l’idée de passer de la formule de la désignation à celle du choix entre divers candidats, même si cette innovation ne concerne encore qu’un faible pourcentage des délégués (moins de 10 %). Il semblerait – le secret est bien gardé – qu’il en a été de même pour une élection majeure, celle des membres du Bureau politique, où une trentaine de candidats postulaient aux vingt-quatre places existantes. Il était de bon ton, pour les observateurs occidentaux, de se gausser des soixante occurrences du mot « démocratie » dans le discours inaugural du Congrès prononcé par Hu Jintao, alors que le pays reste soumis à un régime très autoritaire. Il est probable pourtant que cette inflation linguistique, qui a conduit le numéro un chinois à évoquer des pratiques démocratiques et non plus seulement la « démocratie socialiste », n’était pas sans signification.
Plus important : il paraît clair désormais que tout le monde se pliera sans exception aux règles qui prévoient comment on entre dans le cercle du pouvoir et comment on en sort – notamment par la limite d’âge. Le renouvellement relativement rapide des dirigeants et leur rajeunissement paraissent donc garantis. De fait, pour la première fois depuis la disparition de Mao, le Congrès s’est terminé sans qu’on puisse dire avec quasi-certitude qui sera le prochain numéro un chinois dans cinq ans – puisque nul ne doute que Hu Jintao respectera la règle suivant laquelle le secrétaire général du Parti abandonne ses fonctions au bout de deux mandats. Alors que le président actuel avait été « sélectionné » de longue date par Deng Xiaoping pour succéder, le moment venu, à Jiang Zemin, on ne saurait dire aujourd’hui lequel des deux favoris – Li Keqiang, gouverneur de la province du Liaoning, issu comme Hu Jintao de la Ligue de la jeunesse du Parti, ou Xi Jinping, chef du Parti à Shanghai, fils d’un vieux dirigeant révolutionnaire de l’époque de Mao – sera appelé au poste suprême. À supposer que n’apparaisse pas un outsider parmi les « jeunes » qui rejoindront à terme le Bureau politique. Et nul ne sait par qui ce successeur sera entouré au sein de l’organe dirigeant suprême – le comité permanent du Bureau politique composé de neuf membres – puisque sept de ces dignitaires élus ou réélus aujourd’hui auront atteint la limite d’âge en 2012.

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L’évolution est sans doute plus nette encore en matière de « ligne ». Hu Jintao a introduit pour la première fois dans la liste des priorités du pays, outre la croissance économique, les notions de protection environnementale, de justice sociale et de lutte contre la corruption. Cette modification du discours officiel accompagne une modification des pratiques déjà lancée et en partie théorisée par le président avec son thème fétiche de l’« harmonie sociale ». Mais le changement n’est pas négligeable si l’on se souvient, par exemple, qu’en juin dernier encore, lors du G8 en Allemagne, le même Hu Jintao avait tenu à faire savoir que le souci environnemental ne devait en aucun cas pénaliser le développement économique. Il est donc probable que les recommandations du récent rapport demandé par le président à l’Académie des sciences et qui préconisait de prêter attention d’abord aux inégalités, au chômage et aux assurances sociales pour éviter de graves remous ne resteront pas lettre morte.
Si l’on ajoute à cela, en matière extérieure, un infléchissement du discours officiel sur la question de Taiwan, avec des accents nettement moins belliqueux pour parler de l’inéluctable réunification, il semble donc bien que le Congrès du Parti n’a pas uniquement consacré la continuité. De là à en conclure que la présidence Hu Jintao 2 sera fort différente de la présidence Hu Jintao 1, ce serait évidemment aller vite en besogne. Car il est incontestable que le numéro un chinois, apparatchik s’il en est, n’est pas très enclin à bousculer quoi que ce soit. Il ne paraît pas être un visionnaire, et sa façon de gouverner l’apparente d’ailleurs plus à un Premier ministre gestionnaire qu’à un chef d’État soucieux de l’avenir à long terme. Serait-il d’ailleurs capable de faire face à une situation de crise aiguë, par exemple en cas d’éclatement des bulles boursière (déjà 100 millions de boursicoteurs qui prennent souvent des risques inconsidérés dans le pays !) ou immobilière (un logement au centre de Shanghai est aussi cher au mètre carré qu’en moyenne en France, alors que le revenu par habitant est plus de dix fois inférieur en Chine) ? Mieux vaudrait pour le pays, mais aussi pour le reste du monde en ces temps d’interdépendance des économies, que cette question reste purement théorique. On peut simplement noter que, jusqu’ici, la direction chinoise, qui a su réaliser les adaptations nécessaires en matière économique avant qu’il ne soit trop tard, a toujours réussi à éviter une crise de grande ampleur. En sera-t-il toujours ainsi ?

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